Lo­ge­ments coo­pé­ra­tifs et la quête de l’in­no­va­tion

Testo originale in francese, a corredo dell'articolo "Le cooperative di abitazione in Svizzera e la ricerca moderna dell'innovazione", pag. 26 numero 1/2018 Archi.

Date de publication
19-02-2018
Revision
21-02-2018
Bruno Marchand
Architetto, professore di Critica e Teoria dell'Architettura al Politecnico Federale di Losanna (EPFL)

L’histoire du logement coopératif en Suisse est jalonnée de moments forts lors desquels coopérateurs et architectes ont étroitement collaboré à la conception de nouvelles configurations de l’espace domestique, jugés souvent comme innovantes par rapport à la tradition et aux pratiques sociales et familiales établies. Souvent ces moments forts ont été marqués au sceau de la confrontation d’idées et d’options contrastées, en phase avec les enjeux des époques successives, des enjeux qui méritent d’être explicités et sur lesquels nous allons maintenant nous attarder.

«Cuisine-laboratoire» ou cuisine habitable?

Faut-il adopter des cuisines où l’on peut manger, habitables, ou au contraire des cuisines de petite dimension, séparées des espaces communs et ne servant pratiquement qu’à la confection des repas ? Sur cette question, des attitudes diamétralement opposées se sont manifestées lors du Congrès de la normalisation, organisé par l’Union Suisse pour l’Amélioration du Logement (USAL) à Lausanne en 1920, la section romande recommandant «l’installation de cuisines servant de local commun pour la famille», tandis que le rapport de Genève posait «comme condition que la cuisine soit séparée de la chambre commune et ne serve qu’à la préparation des repas1».

Les réflexions sur la cuisine sont au coeur des débats sur le logement tenus dans l’entre-deux-guerres. Faisant face aux conditions intenables d’habitabilité des classes les plus défavorisées dans les taudis des centres-villes – hygiène déplorable, entassement de plusieurs personnes dans un même espace réduit, promiscuité, etc. –, les architectes vont s’orienter, dès la fin de la guerre de 14-18, vers la conception d’un nouveau type de logement collectif, hygiénique et rationnel, ceci à travers une étonnante analogie avec l’espace du travail : «Nous transposons dans l’organisation du travail domestique les principes d’économie de la dépense du travail et de la direction de l’entreprise, dont l’application à l’usine et au bureau a conduit à une augmentation du rendement insoupçonnée.2»

On peut supposer que, dans les années 1920 et 1930, l’organisation du travail domestique concernait essentiellement les femmes dont Walter Gropius proclame l’éveil et l’autonomie croissante dans la société : «Avec la disparition de nombreux travaux domestiques que la famille a cédé à la production sociale, les attributions de la femme se restreignent, et elle cherche désormais à satisfaire son besoin naturel d’activité en dehors de la famille. Elle entre dans la vie professionnelle. L’économie, à laquelle la machine a donné une base fondamentalement nouvelle, montre à la femme le caractère irrationnel de son travail domestique.»3

Pour la «femme pratique» donc, la rationalité du travail domestique passe forcément par le perfectionnement de l’équipement de la cuisine transformée en un véritable laboratoire, à l’image du modèle de Francfort dessiné par la Viennoise Margarete Schütte-Lihotzky. De surface réduite, séparée du séjour par une porte vitrée, complètement équipée et revêtue de matériaux faciles à entretenir comme le chrome et la céramique, la cuisine de Francfort répond non seulement aux exigences hygiéniques mais, en plus, supprime a priori les mouvements inutiles et fatigants.

Maurice Braillard fait partie des adeptes de la « cuisine-laboratoire ». Dans la Cité-Vieusseux (1928-1932), une Siedlung à Genève constituée d’immeubles en longueur disposés symétriquement de part et d’autre d’un axe central, toutes les cuisines ont une surface de près de 6 mètres carrés. Elles sont «aménagées comme une sorte de petit laboratoire avec le mobilier indispensable à la préparation exclusive des repas ; grand armoire avec tiroir, armoire au-dessus évier en grès (sic) et égouttoir, garde-manger avec table de préparation fixe, cuisinière à gaz émaillée à 4 trous et four».5Pensées strictement pour la préparation rationnelle des repas, les cuisines genevoises, inspirées de celle de Francfort et spécialement étudiées pour la femme, participent d’une nouvelle vision du logement, sociale et progressiste.

Tout aussi concernés que Maurice Braillard par la vision progressiste d’un logement qu’ils souhaitent rationnel et économique, Frédéric Gilliard et Frédéric Godet adoptent pourtant la Wohnküche dans leurs réalisations et projets pour les coopératives lausannoises. Celle-ci est envisagée comme un véritable foyer du logis, confortablement chauffé et favorisant aussi bien la convivialité d’un repas en commun que le déroulement d’activités domestiques (lessive, repassage ou autres). A la « rationalité machiniste » inspirée des avant-gardes, Gilliard & Godet préfèrent une « rationalité sociale et constructive » issue de l’application de la normalisation et de la standardisation des éléments « basiques » de la construction (portes, fenêtres etc.) et de l’attention particulière aux pratiques et aux conditions spécifiques de la classe ouvrière. Dans ce sens, et dans le sillage de Hans Bernoulli, ils réintroduisent dans leurs réalisations la grande

cuisine d’origine rurale, qu’ils équipent, de plus, de potagers à bois ou à charbon dans le square de la Borde (1928-1932) – construit pour la Fondation Le Logement Ouvrier, « fille » de la Société coopérative d’habitation de Lausanne (SCHL) – et dans la cour de Couchirard (1931-1932, édifiée pour la SCHL)6.

High-tech ou low-tech? 

Faut-il appliquer des méthodes de construction industrielles ou, au contraire, des méthodes artisanales ? Dans les années 1950, les procédés industrialisés de la construction apparaissent dans certaines revues spécialisées comme faisant partie des « voies nouvelles » censées à la fois diminuer les coûts de construction et la durée des chantiers, et répondre par leur efficacité au besoin considérable de logements économiques et sociaux7. «Voies nouvelles» : l’expression n’est pas très juste, tant elle fait fi d’un engouement pour la préfabrication déjà ancrée en Suisse romande dans l’entre-deux-guerres par des architectes comme les frères Honegger, qui l’ont appliquée à plusieurs reprises dans l’édification d’immeubles locatifs. Ce qui est nouveau, en revanche, c’est l’ampleur de la tâche que représente le logement pour le « plus grand nombre » et qui incombe à une nouvelle génération d’architectes particulièrement acquise aux méthodes rationnelles de construction.

En 1957, François Maurice, Jean-Pierre Dom et Jean Duret, associés sous le nom d’Atelier d’Architectes, mettent en œuvre à Genève, avec l’appui des pouvoirs publics, le projet d’un immeuble pour la Société coopérative « Les Ailes », qui sera la première expérience de préfabrication lourde exécutée par l’usine Igeco SA8. Dans ce bâtiment linéaire de six étages sur rez-de-chaussée, l'esthétique contrastée des façades (au sud l’image d’une mise en oeuvre structurelle, au nord l'apparence d'une peau lisse) traduit la logique, à la fois rationnelle et fonctionnelle, des plans d’appartements constitués de deux pôles d'espaces domestiques – d’un côté une cuisine minimum, un coin repas et le séjour, de l’autre les chambres.

L’innovation est d’ordre technique : la structure, complètement réalisée en usine et montée sur le chantier par une grue, est composée de dalles avec chauffage incorporé, portées par des cadres disposés perpendiculairement à la façade et reliés, au centre, par un sommier. Ceux qui sont situés le long de la façade sud se prolongent par un porte-à-faux qui supporte les balcons, le contreventement de ce mécano étant assuré par des noyaux en maçonnerie (en remplissage entre les cadres) qui accueillent les circulations verticales

Frédéric Brugger, concerné aussi par les conditions économiques du logement social et conscient qu’il faut édifier le plus grand nombre de logements dans les délais les plus brefs, opte plutôt pour une construction traditionnelle pour les tours de la Borde (1960-1968) à Lausanne9. Construites pour la Fondation Le Logement Ouvrier, ces quatre immeubles hauts sont édifiés en briques de terre cuite de haute résistance. Ce choix « low-tech » comporte néanmoins une part d’expérimentation : testé dans les laboratoires de l’Ecole polytechnique de l’Université de Lausanne, le matériau doit donner les preuves de sa fiabilité dans une construction en hauteur. Mais reconnaissons que, d’une façon générale, Brugger affiche une attitude réservée envers une pensée constructive basée sur des notions de performance et de prouesse technique. A la Borde, la structure murale est envisagée de façon pragmatique : les murs participent à la définition de l’enveloppe et à la séparation des espaces caractérisés avant tout par la fluidité et la diversité des relations entre les pièces et les points de vue. Ces logements, de plan polygonal et uniques car en diapason avec le lieu où ils s’implantent, sont aux antipodes des prototypes standards et reproductibles en série.

Flexibilité ou adaptabilité?

Comment peut-on prendre en compte les modes de vie des habitants dans la conception des logements ? Dès les années 1960, le discours des architectes et des sociologues s’oriente vers les aspirations des habitants à vivre dans un logement qui corresponde à leurs besoins et à travers lequel puisse être identifiée leur personnalité. D’autre part émerge la conviction de la nécessité d’une adaptation des espaces domestiques aux changements dans la composition des noyaux familiaux. Enfin, la participation des habitants à la conception de leur logement devient une préoccupation centrale pour certains architectes qui y répondent par la mise en œuvre d’une flexibilité presque totale des espaces.

En Suisse, plusieurs architectes s’engagent dans cette voie. A Carasso, Luigi Snozzi et Livio Vacchini conçoivent la Casa Patriziale (1967-1970) de manière à offrir aux locataires la possibilité de configurer, par un système de parois mobiles, leur propre appartement10. La méthode de projet est simple : à partir de l’identification des éléments fixes – les cages d'escalier, les murs de séparation anti-incendie et un noyau technique, situé dans une position légèrement excentrée et qui regroupe autour d'une seule gaine la cuisine, le w.c. séparé et la salle de bain –, ils contrôlent l'espace resté libre par une grille de coordination modulaire qui règle les positions possibles des parois métalliques, toutes amovibles, séparant les pièces. La grille devient la trame de la façade, rythmée par la répétition d’un même module de fenêtre verticale, encadrée par des murs et des dalles en béton, une image abstraite et épurée qui semble en attente des décorations spontanées des habitants…

La flexibilité ainsi envisagée prend ses racines dans la modernité et dans la conviction du bien-fondé du progrès technique. Elle fait écho à l’expérience de l'immeuble que Mies avait construit en 1927 à la Weissenhofsiedlung de Stuttgart ou encore aux recherches théoriques menées en Hollande par Nicolaas John Habraken qui, en 1961, réactualise le concept corbuséen d'une structure autorisant toute sorte de plans11. Cette filiation, si prestigieuse soit-elle, ne garantit pourtant pas la réussite d’une telle démarche : le potentiel de flexibilité offert à Carasso – entravé, il est vrai, par des questions techniques, notamment par le fait que le déplacement des parois nécessite l'intervention de spécialistes – n'a pas trouvé un écho favorable auprès des habitants dont les pratiques demeurent étonnamment stables, aucune modification majeure des logements n'ayant été enregistrée depuis la réalisation de l'immeuble.

A la radicalité d’une telle procédure, on peut confronter une autre attitude qui consiste à favoriser la diversité des logements et l’adaptabilité des espaces aux différentes pratiques possibles. En 1969, la Société coopérative « Logement idéal » attribue un mandat à l’AAA (représenté par Alin Décoppet) pour l’édification dans des terrains communaux d’un quartier dense situé dans les hauts de Lausanne, à Grangette – Praz-Séchaud (1969-1977). Pour ces architectes, la conception du logement collectif a profondément changé en quatre ans : il s’agit maintenant «de supprimer le groupement rigide d’appartement identiques»12, de varier les formes des habitations par des décrochements en plan et en coupe, de diversifier les plans de logements et de permettre aux usagers de multiples appropriations dans leur sphère privée. Celles-ci sont induites par des moyens simples comme des armoires mobiles pouvant modifier la configuration des espaces et l’utilisation de portes coulissantes.

Individualité ou communauté?

Faut-il favoriser l’innovation fondamentalement à travers l’adoption de dispositifs ou espaces communautaires? Cette question, au départ un peu incongrue, se pose pourtant en ce qui concerne la politique actuelle des coopératives. En effet, celles-ci impliquent de plus en plus les futurs habitants dans le processus de projet, par le biais d’un dialogue avec les architectes. Or cette démarche induit curieusement une sorte de standardisation typologique, d’abord en raison du fait que les familles constituent la majorité des habitants, mais aussi parce que la rationalité constructive et économique des projets sous-tend l’impossibilité de spécialiser le logement selon les désirs individuels des futurs habitants coopérateurs.

Les coopératives ont la réputation de contribuer activement à l’innovation du logement en fonction de l’évolution des modes de vie, notamment par l’apparition des clusters, nouveau mode d’agrégation du logement consistant à étendre le principe de colocation à une variété de plus en plus grande de la population. Dans le quartier Hunziker Areal à Zürich-Leutschenbach (2012-2015), une opération très publiée et connue sous le nom de Mehr als Wohnen, deux parmi les treize immeubles projetés – l’immeuble A construit par Duplex Architekten et l’immeuble I construit par Futurafrosh – explorent ce principe typologique. D’abord apparu en Suisse alémanique, le phénomène a plus récemment gagné la Suisse romande. Ainsi la coopérative CODHA, pour l’Ecoquartier Jonction à Genève (2013-2017) réalisé sur le site d’Artamis, a travaillé avec les architectes Dreier Frenzel sur des clusters, conçus pour permettre la vie en commun de familles monoparentales et favoriser une entraide dans la vie quotidienne.

Cependant cette innovation – dont Dominique Boudet établit qu’elle s’inspire de l’univers des squats13 - ne doit pas faire oublier le fait que les coopératives construisent en majorité des logements familiaux, dont elles adoptent a contrario une vision assez traditionnelle. Pour preuve: dans le quartier Hunziker Areal, la plupart des logements de l’opération Mehr Als Wohnen, conçus pour des familles, ont des plans plutôt similaires : on y entre par un espace de hall, qui dessert une batterie de chambres d’une part et les pièces de vie de l’autre. En Suisse romande - et notamment à Genève où l’activité des coopératives est la plus marquée - la faible diversité typologique fait cette fois-ci écho au nombre restreint de formes urbaines utilisées, qui restent principalement des barres.

L’innovation semble donc moins opérer au niveau de l’organisation interne des logements, pour investir davantage le champ des espaces en communs et la construction d’un «vivre ensemble» qualitatif. C’est la reconnaissance de cet esprit communautaire qui semble faire aujourd’hui la qualité d’une opération coopérative, recherchée à travers deux attitudes : l’une «programmatique», favorise soit l’instauration de lieux communautaires ou collectifs - salles polyvalentes, espaces de travail ou encore d’ateliers partagés, entre autres; l’autre, « relationnelle », accorde une amplitude sociale particulière aux espaces intermédiaires, de transition (l’entre-deux).

Toujours à Mehr Als Wohnen, les buanderies prennent place aux rez-de-chaussée des immeubles, généreusement exposées à la lumière du jour, au même titre que la crèche ou d’autre programmes entre lesquels on suppose pouvoir s’établir une synergie. Ainsi faire la lessive ne se conçoit plus seulement comme une tâche ménagère mais comme le moment possible de rencontres et de discussions, souvent en relation avec les activités se déroulant dans les espaces extérieurs.

Comme on l’a évoqué, le potentiel de vie communautaire se joue également dans des espaces de transition comme les dispositifs de distribution, qui sont là aussi sujet à réflexion de la part des architectes. La rue intérieure refait ainsi surface dans le sillage des expériences corbuséennes : choisie pour ses avantages économiques indéniables (limitation du nombre d’ascenseurs et d’escaliers) elle est vite perçue par les coopératives comme étant capable de favoriser les rencontres et le maintien du lien entre les habitants. Un tel dispositif a été récemment utilisé dans les immeubles du Pommier construits par le bureau GMAA (2010-2011) pour la CODHA, ainsi que dans l’immeuble Soubeyran (2015-2017) par le bureau ATBA avec la coopérative Equilibre, où une allée centrale, située à mi-hauteur de l’immeuble, distribue plusieurs salles polyvalentes au bénéfice des habitants.

Certains immeubles coopératifs revisitent aussi des dispositifs de la période « héroïque » du mouvement moderne tels que la coursive, devenue assez peu courante en Suisse à cause du défaut de privacité qu’elle implique. Dans l’Ecoquartier Jonction (2013-2017) à Genève, pour l’immeuble de la CODHA, les architectes Dreier Frenzel ont ainsi opté pour une distribution partielle des logements par coursives, un choix qui paraît plus naturel dans un contexte où les futurs habitants ont déjà préalablement fait connaissance et font preuve d’une tolérance à la proximité : un état d’esprit favorable à la vie communautaire. Il faudrait encore vérifier la réception positive de ces coursives par les habitants avant de conclure au succès, car dans le cas de cet exemple l’accès au logement se fait par les coursives. A l’inverse, aux Pommiers, les larges balcons continus qui s’étirent au sud le long des séjours des appartements duplex n’ont pas cette fonction distributive et l’on s’amuse de constater qu’aucun panneau séparatif ne divise ce balcon : les habitants ont fait le choix que tous puissent y circuler librement.

Les prolongements extérieurs des logements sont ainsi également des espaces de transition vus comme susceptibles de créer des liens. Dans l’immeuble Soubeyran construit par ATBA à Genève, les logements s’étendent à l’extérieur par de profonds balcons logés dans une grille. Décalés un niveau sur deux, ils ont une double hauteur et permettent à la lumière d’atteindre les logements. Le dispositif assure une séparation des balcons, mais un sentiment d’espace commun crée par la grille -une structure commune évoquant l’essaim d’abeilles-, et une liaison physique possible, matérialisée par une passerelle disposée contre la façade, un système qui manifeste la recherche d’un juste degré entre sentiment collectif et nécessaire privacité.

Le projet de l’immeuble des Saules, issu d’un concours organisé par la Cigüe pour la construction d’un immeuble de logements pour étudiants et remporté le bureau Jaccaud Spicher, mise sur des balcons individuels, mais rattachés par une terrasse commune, sur lesquelles donnent les cages d’escaliers. Ce dispositif marque bien la recherche d’un juste équilibre entre individualité et communauté ; la terrasse commune ne dispense pas de la terrasse individuelle, mais la mutualisation des moyens permet de l’offrir en plus. Les espaces communautaires se présentent ainsi la plupart du temps comme des espaces possibles de lien, sans y obliger l’usager pour autant.

En Suisse allemande, où l’état d’esprit général s’est toujours montré plus ouvert à l’aspect collectif, l’îlot-immeuble Kalkbreite, réalisé par les architectes Muller Sigrist et achevé en 2014, constitue peut-être l’exemple le plus éloquent d’une vie communautaire, rassemblant en un seul projet l’ensemble des dispositifs expliqués plus hauts : continuité des distributions, déclinaison d’espaces de travail ou de détente réfléchis en synergie, présence au sein de l’îlot de services de proximité, cour intérieure surélevée avec espaces de jeux... Jusque dans les détails l’idée de communauté s’installe, comme en témoignent les petits vitrages laissés dans les portes d’entrées des logements et les fenêtres intérieures disposées ça et là entre espaces de distribution et logements… A Kalkbreite on pourrait presque vivre en autarcie ; et ce constat peut susciter une forme de malaise, car il suggère le risque que ces entités ne se ferment à leur tour au monde extérieur.

Oscillations

«Cuisines-laboratoires» vs cuisines habitables, high-tech vs low-tech, flexibilité vs appropriations multiples, individualité vs communauté: par leurs valeurs contrastées, ces oscillations désignent les deux faces d’un débat révélant à la fois la sensibilité démarquée des architectes, leur souhait de remettre continuellement en question les valeurs confirmées et, enfin, leur engagement sans faille pour une problématique toujours actuelle, celle de l’innovation du logement coopératif.

 

Note a piè di pagina

  1. «Congrès de la normalisation à Lausanne, organisé par l’Union suisse pour l’amélioration du logement (section romande), extrait du rapport de M. F. Gilliard, architecte (suite)», Bulletin technique de la Suisse romande, n° 1, 1921, p. 8.
  2. Margarete Schütte-Lihotzky, «Rationalisierung im Haushalt», das neue Frankfurt, n° 5, 1926/1927, pp. 120-121.
  3. Walter Gropius, « Fondements sociologiques de l’habitation minimale pour la population industrielle des villes » (1929), in Walter Gropius, Architecture et société, Editions du Linteau, Paris, 1995, p. 73.
  4. Voir à ce sujet Isabelle Charollais, Bruno Marchand, « Cités-jardins ou bloc locatifs ? Rationalisme et espace domestique : la Cité-Vieusseux (1928-1932) et l’immeuble à la route de Frontenex 53-57 (1933-1934) à Genève », in Isabelle Charollais, Bruno Marchand (éd.), Architecture de la raison. La Suisse des années vingt et trente, Presses polytechniques et universitaires romandes, Lausanne, 1991, pp. 164-197.
  5. Louis Vincent, « La cité Vieusseux à Genève », Habitation, n° 9, 1932, p. 70.
  6. Sur l’histoire de la SCHL, voir Joëlle Neuenschwander Feihl, 75 ans d’élan constructeur au service de la qualité de la vie, Société coopérative d’habitation, Lausanne, 1995.
  7. «Voies nouvelles. Pour une rationalisation des méthodes de construction », Journal de la construction de la Suisse romande, n° 2, 1953, pp. 78-80.
  8. A propos de cet immeuble, voir Bruno Marchand, François Maurice architecte, Infolio éditions, Gollion, 2009, pp. 70-74 ; sur l’usine Igeco SA, voir Dominique Zanghi, « Espoirs et aléas de la préfabrication en Suisse romande. Le cas de l'usine Igeco à Etoy », matières, n° 3, 1999, pp. 86-95.
  9. Sur cette réalisation, voir Frédéric Brugger, « 4 immeubles locatifs à but social avec zone commerciale – La Borde, Lausanne », werk, n° 5, 1969, pp. 315-317.
  10. A propos de la Casa Patriziale, se référer à Peter Disch, Luigi Snozzi, Buildings and Projects 1958-1993, ADV Publishing House, Lugano, 1994, pp. 88-90.
  11. Nicolaas John Habraken, Supports, An Alternative to Mass Housing, Praeger (1961), New York, 1972.
  12. AAA, « Logements à but social Grangette – Praz-Séchaud, Lausanne », Habitation, n° 7/8, 1977, pp. 17-20 ; Alin Décoppet, « A propos de la Grangette – Praz-Séchaud. Quelques réflexions de l’architecte sur le logement », Habitation, n° 7/8, 1977, pp. 21-23.
  13. Dominique Boudet, Nouveaux logements à Zurich, la renaissance des coopératives d’habitat, Park Books, Zurich, 2017.

 

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