Y a-t-il un pi­lote sur le chan­tier?

Compte rendu de la table ronde à la Haute école du paysage, de l’ingénierie et de l’architecture (hepia)

Date de publication
21-05-2015
Revision
21-10-2015

Le groupe de compétence Méthodes Innovantes pour la Construction d’hepia organisait mercredi 6 mai à Genève une table ronde sur le thème de l’organisation du projet de construction.

Benoit Frund, vice recteur Durabilité et Campus de l’Université de Lausanne, Roberto Carella architecte associé du bureau Bassicarella, César Vuadens membre de la direction générale de HRS Real Estate et président pour la Suisse romande de Développement Suisse et Edgar Joffré, ingénieur conseil, ancien directeur d’entreprise, ont débattu du sujet à l’invitation de Lionel Rinquet, professeur HES.

Sans surprise, le maître d’ouvrage a pointé sa responsabilité prépondérante et la nécessité d’avoir le courage de ses choix. L’architecte a plaidé le continuum entre conception et exécution, selon le modèle prôné par la SIA, seule garantie de cohérence du projet. L’entrepreneur général a défendu son point de vue : les entreprises générales, loin d’avoir envahi le marché, sont là pour le bien du client. Et l’entrepreneur a insisté sur les zones grises, inévitables dans la définition des appels d’offres et qui arrangent finalement beaucoup de monde.

La discussion, courtoise, n’a pas donné lieu à de véritable surprise. Chacun s’accorde à reconnaître qu’aucun modèle n’est condamnable en soi et que chaque situation, selon la complexité du problème, les contraintes et la personnalité du maître de l’ouvrage, peut être réglée de diverses manières et aboutir à un résultat, bon ou mauvais, plus dépendant des personnes engagées et de leur aptitude à travailler ensemble que du modèle mis en œuvre.

Il y aurait donc de la place pour tout le monde. Vraiment ? En ces temps de crise qui jette sur la route par centaines les jeunes architectes bien formés en Espagne, au Portugal ou ailleurs, les 60 étudiants d’hepia qui vont d’ici peu se retrouver sur le marché accompagnés d’un nombre équivalent de collègues de l’EIA de Fribourg et d’une centaine de diplômés de l’EPFL peuvent être rassurés…

Le débat d’hepia n’a pourtant pas été vain. C’est finalement de manière plutôt prévisible du titre même de la table ronde et du public qu’est arrivé le débat : pilote, voici le mot qui a fait réagir.

Pour certains, architectes, l’entreprise générale ne fait que répondre aux mauvais travers de notre société : toujours plus vite et toujours moins cher. L’architecte généraliste, petit patron à la tête de quelques collaborateurs se voit exclu dès que la taille du projet dépasse celle d’une bricole. Et s’il y arrive quand même, à force de saucissonnage, de recours aux experts de tout poil, les responsabilités seront diluées et faute de pilote le chantier finira par un crash. 

Pour d’autres, l’équipage doit être renforcé par un vrai pilote. Qu’on l’appelle « owner’s representative » à l’anglo-saxonne ou bureau d’assistance au maître d’ouvrage, même combat : plus de contrôle, plus de maîtrise des processus, plus d’objectifs financiers, plus de monde qui bourdonne autour du maître d’ouvrage. Construire ? Une opération commerciale comme une autre, bien loin du jeu savant, correct et magnifique des formes sous la lumière...

D’autres encore y voient une question de gestion environnementale que personne n’avait vu venir !

La discussion a été le miroir fidèle de la réalité du terrain : dans le secteur du bâtiment, en matière d’organisation et de suivi du projet, un sentiment de confusion domine.

Les étudiants présents dans l’amphithéâtre, avaient de quoi se poser des questions : le métier qu’ils ont choisi semblait jusque là exigeant, mais relativement clair : on développe un projet, on dessine des plans et des détails d’exécution et pour finir on gère un chantier. La réalité illustrée lors de cette table ronde est bien plus compliquée, protéiforme. Les nouveaux métiers de l’« owner’s representative » au technicien en conduite de travaux en passant par toute la brochette des spécialistes (sécurité, environnement, acoustique, énergétique, économiste, etc.) cherchent à faire leur place dans l’appel d’air généré par une complexité technique, normative, réglementaire ou encore contractuelle toujours croissante. 

Les architectes peuvent-ils encore prétendre à cette maîtrise d’ouvrage qui semble inexorablement leur échapper ? L’atavisme suisse pour le compromis va peut-être accoucher d’un modèle original permettant de maintenir un certain niveau de qualité dans le résultat et dans le « travailler ensemble ». Ou pas, et plusieurs modèles vont évoluer en parallèle pendant un bon bout de temps.

Une chose au moins sur laquelle chacun s’accorde : un système basé sur la confrontation, des rapports de force exacerbés et une sous-enchère systématique, tel qu’on peut l’observer chez certains voisins, n’est ni souhaitable ni adapté à la culture de notre pays. Puissions-nous au moins garder cette ligne de conduite sous la pression de la main invisible du marché pour qui le bâtiment n’est qu’une classe d’actifs parmi d’autres…

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