We­ge­ner, poète

Ici est ailleurs

Eugène à côté de la plaque tectonique

Date de publication
06-05-2015
Revision
25-10-2015

Cette année, dans un silence assourdissant, nous célébrons le centenaire de la parution de Genèse des océans et des continents : théories des translations continentales, ouvrage écrit par un obscur météorologue, Alfred Wegener. Trois ans plus tôt, Wegener avait présenté lors de deux conférences en Allemagne son hypothèse de « translation des continents ». Eclats de rire, moqueries, insultes avaient aussitôt fusé de la part de la communauté scientifique en général et des géologues en particulier. 

Wegener ne se démonte pas. A défaut d’une preuve irréfutable qu’il est bien en peine de fournir, le météorologue multiplie les champs d’exploration : « Ce n’est qu’en réunissant les données de toutes les sciences qui se rapportent à l’étude du globe que nous pourrons espérer obtenir la ‹ vérit頛, écrit- il dans sa préface. (…) Ce livre s’adresse au même degré aux géodèses, géophysiciens, géologues, paléontologues, zoogéographes, phytogéographes et paléoclimatologues. » Ainsi, la découverte au Spitzberg de plantes tropicales fossilisées, des traces d’anciennes glaciations en Inde et en Afrique du Sud, la mise en évidence de zones montagneuses au Congo et au Brésil issues de la même formation géologique constituent un faisceau de preuves.

Il faudra attendre les années 1960 et l’exploration des fonds océaniques par des sous-marins pour valider (et compléter) la théorie de Wegener ! Trop tard pour lui : il meurt congelé en 1930, durant sa troisième expédition au Groenland. Il était parti à la recherche de fossiles prouvant que l’île se trouvait sous un climat tropical à une lointaine époque. Il n’avait que cinquante ans.

Wegener est l’homme de cette fabuleuse théorie : les continents sont en mouvement. Ils se déplacent à la surface du globe, tels de gigantesques radeaux. Même le plus excentrique de tous les poètes n’aurait pas osé inventer une métaphore pareille. 

Cette nouvelle vision du monde inspirera deux étonnants romans. D’abord Centennial (en français Colorado Saga) de James Michener en 1974. C’est l’histoire d’une ville dans les montagnes Rocheuses. Mais, de manière tout à fait singulière, le romancier ne démarre pas son intrigue à l’époque des colons ni même à celle des Amérindiens. Michener commence par la formation géologique des montagnes Rocheuses ! Le chapitre 2 présente les vrais premiers habitants : diplodocus et autres sauriens sont à la fête. Puis le récit rejoint l’époque de l’homo sapiens, les Amérindiens, la fondation de la bourgade de Centennial par les Blancs et toutes les aventures qui s’en suivent jusque dans les années 1970. A ma connaissance, c’est le seul roman au monde à décrire la Terre et ses habitants avec une telle amplitude.

Deuxième héritier littéraire de Wegener : Le radeau de pierre, de José Saramago. En 1987, le futur prix Nobel de littérature imagine que la péninsule ibérique se détache du continent européen et dérive dans l’Atlantique. Les Pyrénées sont désormais bordées par une immense falaise. Quant au « radeau », il ricoche contre les Açores, puis continue sa route vers le sud-est. L’Espagne et le Portugal intègrent l’Afrique !

Wegener : scientifique et père de la poésie du 20e siècle.

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