Vases à bon es­cient

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Le Silo s'intéresse ici au premier film dramatique de Woody Allen. Dans "Intérieurs", le réalisateur new-yorkais élargit l'idée de design et met l'accent sur la décoration domestique, intime.

Date de publication
12-12-2013
Revision
17-11-2015

Intérieurs est le premier film dramatique de Woody Allen. Sans gags, sans musique ni vues imposantes de New York accompagnant les déballages sentimentaux de ses personnages, le film raconte les bouleversements que provoque dans la vie de trois sœurs le divorce de leurs parents : un père avocat et une mère décoratrice d’intérieur, obsédée par l’ordre minimaliste et l’harmonie des couleurs (le beige et le gris). 
La rencontre de Woody Allen avec le drame se poursuivra dans September et Une Autre Femme, mais, en 1978, il est encore considéré comme un habile comédien du burlesque et un fin décortiqueur de la nature humaine. Fervent admirateur du cinéma d’Ingmar Bergman, Allen ne cache pas son attachement au théâtre d’August Strinberg, d’Anton Tchekhov ou de Tennessee Williams (chantier qu’il ne cessera d’explorer jusqu’à sa relecture de Blanche DuBois dans Blue Jasmine). On lui reproche toutefois de vouloir imiter ces auteurs, de faire « à la manière de » en déployant d’interminables monologues dépourvus d’assises solides dans le tragique.
Dans Intérieurs, Allen élargit l’idée de « design » pour en faire à tous les niveaux : design architectural, design psychologique, design cinématographique. La décoration intérieure est omniprésente : ce sont les décors de Mel Bourne et de Daniel Robert, les interventions d’Eve dans le loft de sa fille, la scénographie théâtrale de sa tentative de suicide, la disposition des objets que le directeur de la photographie Gordon Willis éclaire explicitement comme des natures mortes. Les personnages sont disposés dans l’espace comme des vases sur un meuble. Quasi immuables à l’intérieur de plans fixes, ils restent figés de peur de briser l’équilibre précaire de leur existence. Souvent cadrés devant des fenêtres ou d’autres ouvertures, ils couvrent de leur corps toute perspective sur le dehors, demeurant inaccessible.
Un an plus tôt, en 1977, Annie Hall remportait quatre Oscars et Diane Keaton était primée pour sa performance. En 1979, elle retrouvera son ex-compagnon dans Manhattan, le film-signature de la ville de New York. Intercalé entre ces deux géants de la filmographie allénienne, Intérieurs sera à l’époque considéré comme une mésaventure. Or, la performance de Diane Keaton épaulée par Mary Beth Hurt et Kristin Griffith annonce d’ores et déjà Hannah et ses sœurs. Leur façon de poser devant la fenêtre dans le magnifique dernier plan du film adresse un clin d’œil à Vermeer tout en nous invitant à projeter, à travers les marques laissées par leurs tumultes internes sur leurs visages, un paysage extérieur.

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