Pri­son pour femmes dans le Mis­sis­sippi

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Avec "Baby Doll", qu'il réalise en 1956, Elia Kazan dresse le portrait du Sud des Etats-Unis, en pleine décadence

Date de publication
06-05-2015
Revision
21-10-2015

Baby Doll (1956) marque une nouvelle incursion du duo formé par Tennessee Williams et Elia Kazan dans le portrait de la décadence du Sud des Etats-Unis et son invasion par des étrangers, qui apportent avec eux une nouvelle énergie, de nouvelles mœurs. Archie Lee (Karl Malden) est un rude producteur de coton au bord de la banqueroute. Il vit avec sa jeune femme, Baby Doll (Carroll Baker), et la vieille tante de celle-ci (Mildred Dunnock) dans une de ces imposantes maisons du Mississippi, immense mais en ruines, et complètement vidée de ses meubles par les créanciers. Fille rêveuse devenue orpheline avant ses 18 ans, Baby Doll se marie très jeune, mais reste déterminée à ne se livrer à son mari qu’après son vingtième anniversaire. 

Le film s’ouvre sur une image étrange : Archie Lee perce un trou dans le mur, avec l’intention de regarder sa femme encore endormie dans une pièce voisine. La jeune femme s’en rend compte et une bagarre plutôt physique, éclate. Cette séquence de voyeurisme n’est que la première d’une série de perversions auxquelles le film de Kazan se livre gaiement, attisant rapidement la colère de l’Eglise catholique, qui condamne le film à sa sortie. Kazan lui-même reconnaît que Baby Doll n’est pas un film de subtilités, et que le comportement des personnages est volontairement exagéré à certains moments. 

La villa sudiste à l’intérieur de laquelle une grande partie de l’action se déroule acquiert un statut proche de celui des personnages : animée, et d’une façon presque caricaturale, la maison est en même temps élégante et décatie, produisant un effet à la fois drôle et terrifiant, tragi-comique. Des lustres flamboyants aux murs décrépis, les contrastes sont dans chaque plan. On dit que les fantômes des anciens habitants hantent encore le lieu, et que c’est grâce à sa mauvaise réputation que la villa a pu être achetée par quelqu’un de peu fortuné. Ainsi, malgré le fait que le mariage n’ait pas été consommé, que le couple n’ait pas d’enfant, la seule pièce dotée de meubles dans la demeure est, avec la cuisine, la chambre d’enfant. C’est là que Baby Doll passe ses nuits, recroquevillée dans un petit berceau qui fait moins d’un mètre de long : une image de la femme-enfant trop explicite pour être considérée comme métaphorique. 

C’est là qu’elle bercera Mister Vacarro (Eli Wallach), l’Italien arrivé dans le coin pour concurrencer Archie Lee dans le traitement du coton. Suspectant que le mari de Baby Doll est responsable de l’incendie dans ses installations, le séduisant et gentil Vacarro décide d’enquêter auprès de la jolie femme. Entre la maison vide et la balançoire du jardin, les deux passent un après-midi ensemble, enchaînant des séquences de course-poursuite qui combinent l’aspect enfantin du jeu à un érotisme poussé. Le sommet de cette dynamique a lieu lors de leur arrivée au grenier dans lequel Baby Doll n’avait jamais mis les pieds. Dans cette pièce peu éclairée dont le parquet est en partie affaissé, terreur et plaisir sont indiscernables. Accrochée à une poutre, Baby Doll cède à la pression de Vacarro et signe une déclaration qui incrimine son mari. L’Italien lui tend donc un mouchoir, combinant à son tour menace physique et galanterie. La suite du film est moins joyeuse, ne laissant pas de doute sur le sort des deux femmes. Si le progrès semble faire son entrée dans la production agricole, elles semblent condamnées à être prisonnières de cette maison hantée.

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