Une Suze nature, s’il vous plaît!
Avec une proposition séduisante et ambitieuse qui renouvelle l’image des quais et de la ville même, le groupement apaar remporte les MEP pour la revalorisation des quais de la Suze à Bienne, dans un contexte contraint qui laissait peu de marge de manœuvre aux équipes.
La Suze a trois visages: «sauvage» lorsqu’elle émerge des gorges du Taubenloch, «paysagère» au niveau des récents aménagements de «l’île de la Suze», puis «urbaine», canalisée au 19e siècle dans le centre de la ville jusqu’au lac. Ce sont les quais de cette Suze urbaine que la Ville de Bienne entreprend aujourd’hui de réaménager, un canal planté de 2 km parfaitement rectiligne qui tient aujourd’hui plus de l’axe de circulation et de l’exutoire d’eaux pluviales que de la promenade.
Les MEP proposaient aux candidats deux échelles de réflexion: un concept d’aménagement et de fonctionnement de l’espace public sur les 2 km du linéaire (1er degré, cinq équipes), et un avant-projet sur un tronçon du quai du Bas (320 m) entre la place centrale et la rue de l’Hôpital, de façade à mur de quai (2e degré, trois équipes). Ils associaient à chaque phase de dialogue un groupe d’accompagnement d’habitants et de commerçants riverains, tirés au sort – une première à Bienne.
Marges de manœuvre?
Le site comme le programme sont contraignants. Sur la Suze canalisée, patrimoine de la ville qui la protège des crues, les murs de quais, les garde-corps, l’emprise ou le lit de la rivière sont intouchables. Sur les flux et le stationnement, les candidats sont tenus par l’actuel plan de mobilité communal qui n’autorise pas de déroger à certaines contraintes de places de parking et d’accessibilité. Ils devaient en revanche proposer des visions à plus long terme et faire la démonstration de la faisabilité et de l’intérêt d’une réduction de la place de la voiture.
Le groupement mené par apaar l’emporte avec le projet Canal éponge et ses trois principes: «ville éponge», «ville marchable» et «ville sociale», proposition considérée par Jan Forster, architecte-paysagiste et président du jury, comme «la plus radicale et la plus contemporaine», qui a su traiter tous les sujets: la réponse environnementale à l’urgence climatique, la participation des habitants dans le processus et le respect du cadre patrimonial.
De l’hygiénisme à la nature en ville: une nouvelle image
Le projet de l’équipe apaar se distingue d’abord par une nouvelle esthétique: l’actuel linéaire monotone, avec ses arbres d’alignement bien rangés, encombré de voitures, devient un paysage végétal foisonnant, diffus, sinueux – le motif de sol/voirie évoquant en plan les méandres d’une rivière non canalisée –, contrastant avec les deux autres propositions qui s’inscrivent dans la continuité de l’existant, sans renouveler le paysage du canal.
Cette image contemporaine de la nature en ville, si elle est dans l’air du temps, n’est pas que cosmétique. C’est un remaniement en profondeur, la face émergée d’un système de gestion des eaux complexe et ambitieux qui fait du sol un milieu vivant, contribue à la santé des arbres et au rafraîchissement du quartier. La totalité des surfaces non dédiées au trafic motorisé sont rendues perméables, 100 % des eaux pluviales sont infiltrées, y compris les eaux de toiture, ce qui ne s’est jamais fait à Bienne. Le système dit «de Stockholm» proposé par l’équipe permettrait de stocker les eaux dans les fosses de plantation afin d’alimenter les arbres et de leur offrir des conditions de croissance optimales, tout en limitant au maximum le rejet des eaux pluviales dans le réseau unitaire.
En bandes ou ensemble?
Alors que les deux autres propositions séparent les modes en bandes dédiées, chacun sur son terrain, apaar fait le pari du partage de l’espace avec une zone piétonne en rive droite et une zone de rencontre en rive gauche: les piétons vont partout, les cyclistes bénéficient d’espaces refuges tous les 40 m et les véhicules circulent sur des voies infléchies et désaxées qui limitent la vitesse.
Si l’opportunité de réduire drastiquement la place de la voiture sur les quais de la Suze n’a pas été saisie par la Ville à ce stade, le projet choisi, par son adaptabilité, permet de se projeter dans ce que les quais pourraient devenir à terme: des espaces entièrement dédiés aux piétons et aux cycles.
MEP Valorisation des quais de la Suze, Bienne (BE)
Maître d’ouvrage
Ville de Bienne
Procédure
MEP (SIA 143) participatifs à deux degrés
Projet lauréat
Canal éponge, apaar, CERA ingénieurs civil, environnement, hydraulique, RGR ingénieurs mobilité, Clément Crevoisier historien
Autres projets
La promenade des quais, Duo architectes paysagistes, Roland Ribi et associés, Rerenzia ingénieurs Suze 2.0, Studio Vulkan, MRS partner, Staubli, Kurath & Partner, Geo-Net Umweltconsulting
Les résultats et le rapport du jury du concours sont consultables sur competitions.espazium.ch