Une in­croyable his­toire

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Le Silo, un collectif de chercheuses dédié aux images en mouvement, présente un excursus au croisement du cinéma et de l’architecture. Dans cette contribution, Silo raconte le film de Tetzlaff, produit en 1949, où la rue devient une aire de jeux.

Date de publication
13-01-2012
Revision
01-09-2015

Par une étouffante nuit d’été new-yorkaise, Tommy, petit garçon fabulateur habitant le quartier très populaire du Lower East Side, décide de dormir sur les escaliers de secours. Allongé à côté de la fenêtre de ses voisins d’en-haut, il les surprend en train de commettre un meurtre. Fatigués de l’entendre raconter des histoires, les parents de Tommy refusent de le croire. L’enfant se retrouve livré à lui-même, dans un inquiétant jeu du chat et de la souris qui l’oppose, sur fond de décrépitude urbaine, au couple de meurtriers. Une vieille fable d’Esope Le garçon qui criait au loup devient ainsi un film noir aux caractéristiques ambiances oppressantes et aux magistraux jeux de lumière. Produit par la RKO en 1949, Une incroyable histoire (The Window) est réalisé par Ted Tetzlaff, plus connu pour avoir été le directeur de photographie des Enchaînés
d’Alfred Hitchcock. 
Essai dans la pathologie de la vie moderne, Une incroyable histoire est un « film-symptôme », le reflet de l’angoisse d’une époque face aux dimensions de plus en plus aliénantes de l’espace urbain. Tourné sur les lieux, le film évoque en filigrane les conditions de vie de la population ouvrière du Lower East Side : logements lugubres, terrains vagues, ruines au bord de l’écroulement, backstreets entassées d’ordures. 
Et pourtant. A y regarder de plus près, Tetzlaff nous dresse le portrait d’un espace jouissif, où l’enfant est roi. Avec ses architectures verticales, ses labyrinthes d’escaliers et ses toits communicants, la ville mue l’espace public en espace intime, déjoue le dedans et le dehors et offre au grand jour un monde ludique fait de passages secrets, de raccourcis dissimulés et de points d’observation camouflés. L’aire de jeux, c’est la rue : fort d’une mémoire sensorielle des lieux, Tommy déjoue ainsi ses ennemis. La ville moderne ne serait autre qu’une grande cour de recréation : univers enfantin par excellence et, quid plus est, tout aussi impitoyable que le monde des adultes. 

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