Un mur sur une île

A Chypre, un projet porté par des membres des communautés grecque et turque a pour ambition de revitaliser Varosha, une portion de ville désertée depuis la partition de 1974

Date de publication
22-04-2015
Revision
25-10-2015

Sur l’île de Chypre, comme ce fut le cas en Corée, l’érection de la barrière de séparation entre les Turcs, au Nord, et les Grecs, au Sud, avait pour but d’établir un statu quo entre deux parties belligérantes. La construction de la structure faisait suite à l’opération « Attila », menée en 1974 par les forces turques et qui a abouti à la partition de l’île. Les Chypriotes turcs ont alors été contraints de gagner le Nord, les Chypriotes grecs le Sud. Depuis, une zone tampon, qui occupe 4 % du territoire et dont plusieurs points de passage ont été créés en 2003, marque la séparation entre la République de Chypre et la République turque de Chypre du Nord – Etat autoproclamé non reconnu par la communauté internationale.

La zone tampon, truffée de barbelés, bidons et autres constructions, est contrôlée par la Force des Nations Unies chargée du maintien de la paix à Chypre (UNFICYP), créée en 1964 pour prévenir la reprise de combats entre Chypriotes grecs et turcs. En janvier dernier, le Conseil de sécurité de l’ONU a décidé de prolonger le mandat de l’UNFICYP jusqu’au 31 juillet 2015. Il estime en effet que les progrès accomplis dans les négociations entre les deux communautés ne sont pas suffisants pour servir de base à un accord. 

Si le mur est partiellement tombé depuis plus d’une décennie, les séquelles restent. Il a laissé son empreinte dans les esprits et sa cicatrice dans le paysage, à tel point qu’une portion entière de ville est désertée depuis 40 ans. Il s’agit de Varosha, quartier de Famagouste, une ville portuaire de l’est de l’île comptant quelque 40 000 habitants. Varosha, considéré autrefois comme la Côte d’Azur chypriote, est encerclé de barbelés depuis la partition et placé sous la surveillance de l’armée turque, qui exploite cette zone comme monnaie d’échange dans les négociations avec le gouvernement chypriote.1 

Ecocity 


Il y a un an, un groupe d’experts issus des deux communautés et de l’étranger – architectes, économistes, propriétaires, urbanistes, ingénieurs, artistes et médiateurs – s’est réuni autour de la cinéaste chypriote grecque Vasia Markides2. L’architecte et professeur au MIT Jan Wampler fait notamment partie de ce projet qui a pour ambition de revitaliser la portion de ville désertée. L’organisation veut redonner vie au quartier de Varosha en le transformant en ville durable, sans tomber dans l’écueil du complexe balnéaire et touristique comme il en existe tant sur les côtes. L’idée est donc de préserver la mémoire de la ville, de reconstruire avec ce qui demeure. 

Pour ce faire, les membres du groupe collectent des souvenirs et anecdotes racontés par les habitants de Famagouste, essentiellement chypriotes turcs, et de ceux ayant vécu à Varosha avant la partition. Ils exploitent ce matériau pour construire leur vision de ce potentiel futur quartier.

Pour l’heure, rien n’a encore été (re)construit à Varosha, mais les réflexions, discussions et recherches de fonds (principalement grâce au financement participatif et aux dons privés) se poursuivent. Plusieurs ateliers ont été mis sur pied – par exemple pour apprendre à fabriquer des briques de boue traditionnelles. Jan Wampler est venu avec ses étudiants de l’Université de Floride du Sud donner un workshop commun avec des étudiants chypriotes.

Et puis, en guise de prologue au projet, Vasia Markides a décidé de réaliser un film (en cours de montage) pour documenter le processus du projet et la manière dont les deux communautés s’y prennent pour y réfléchir ensemble. Si le projet n’aboutit pas, le film, lui, restera et pourra servir de base à un futur programme.

 

Notes

1. Le quartier de Varosha, possession du gouvernement turc, est par exemple utilisé comme monnaie d’échange par ce dernier dans les négociations avec le gouvernement chypriote concernant l’ouverture au trafic international de l’aéroport d’Ercan et l’ouverture au commerce international du port de Famagouste. Tous deux sont situés dans la partie chypriote turque, qui est sous sous embargo, car la République turque de Chypre du Nord n’est pas reconnue par la communauté internationale.
2. http://ecocityproject.com/famagusta

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