Un cro­co­dile qui avale 1’500 per­sonnes

Sur le site en transformation de Lokstadt à Winterthour, les bureaux Baumberger & Stegmeier de Zurich et KilgaPopp Architekten  ont réalisé un îlot en ossature bois de plus de 250 logements qui, malgré la densité du bâti, offre une impression de générosité.

Date de publication
06-12-2021

À Winterthour s’est installé un énorme crocodile. Situé sur le site de la «Lokstadt», le bâtiment doit son nom aux locomotives des CFF, encore construites ici jusqu’en 2010, parmi lesquelles le légendaire modèle Crocodile. Bien que les traces du passé industriel des lieux soient toujours présentes, le nouvel arrivant joue la carte de l’autonomie et propose une ossature en bois, à peine visible de l’extérieur et pourtant omniprésente dans les espaces l'intérieurs.

Les logements occupent environ 90% de la superficie, le rez-de-chaussée abrite des commerces, des ateliers et des infrastructures publiques. Le complexe propose quelques 250 appartements de deux à quatre pièces, trois clusters et plusieurs ateliers habitables auxquels s’ajoutent 26 locaux dédiés à l’activité commerciale, totalisant ainsi une surface utile de 22’800 m2. Les appartements en coopérative d’habitation s’étendent sur 9’800 m2, les appartements en PPE sur 5’700 m2. Formant une maison à cour de 106 x 65 m – la cour intérieure comptant 2’000 m2 –, trois des ailes du bâtiment se développent sur six étages, la quatrième en comptant huit. Pensé comme une zone piétonne, le site ne présente quasiment aucun trafic motorisé et les places de stationnement se situent au sous-sol.

Suivant les directives d’Implenia, développeur de projet et entreprise totale, les bureaux d’architecture Baumberger & Stegmeier de Zurich et KilgaPopp Architekten de Winterthour ont conçu le projet selon les strictes exigences en matière de durabilité de la Société à 2000 watts. En toute logique, la construction en bois s’imposait.

Bois et innovation

Ce sont les piliers en bois de la construction en ossature qui déterminent le projet. Seul le sous-sol et les atriums, avec leurs escaliers et ascenseurs, ont été construits en béton armé. 5’500 m3 de panneaux en bois stratifié croisé CLT (Cross Laminated Timber) ont été utilisés, 1’500 m3 de lamellé-collé et 700 m3 de bois d’encadrement. L’épaisseur des murs extérieurs est de 320 mm. Dans les étages inférieurs, jusqu’au niveau où était positionné le pont roulant dans l’ancienne usine à locomotives, la façade est revêtue de plaques de fibrociment. Dans les étages supérieurs, celle-ci est habillée d’éléments en forme d’écaille en zinc-titane évoquant une rehausse. Il a été opté pour une façade ventilée avec un doublage en plaques de plâtre à l’intérieur, lissé et recouvert d’une peinture couvrante.

Côté cour, les portes-fenêtres disposent d’un garde-corps faisant office de contrecœur, tandis que côté rue les ouvertures avec vitrage fixe en partie inférieure sont pour la plupart arrangées par paires, pour former une continuité verticale. Ces bandeaux de fenêtres verticaux rappellent l’ancienne halle industrielle et rythment les façades. D’une portée allant jusqu’à 19 m, les dalles à plusieurs travées ont été réalisées en panneaux de bois lamellé-collé d’une épaisseur de 220 mm, recouvertes d’une couche de gravillons liés avec une colle flexible d’une épaisseur de 100 mm.

Un nouveau module composé de lamellé-collé a d’abord été testé par Implenia Holzbau AG et Timbatec dans le cadre de leur Innovation Lab avant d’être installé dans le bâtiment. Les coffrages des noyaux de circulation coulés en béton ont été réalisés à partir de panneaux en bois lamellé-collé: la construction en bois, visible sur l’extérieur, fait ainsi simultanément office de coffrage perdu et de parement.

Les atouts de cette méthode innovante : son efficacité et son utilisation raisonnée des ressources. Cornières et vis sont employées avec parcimonie, puisque tout élément de fixation aux noyaux en béton est inutile. De cette manière, la construction du Krokodil aura permis d’éviter l’utilisation de 24 t d’acier, de 5’000 t de goujons pour charges lourdes, de 10’000 vis ainsi que de 375 t de béton – et ceci, rien qu’au niveau des cages d’escalier.

BIM – un modèle prometteur

La méthode de planification BIM a été exploitée à grande échelle lors de la construction du Krokodil. Selon Implenia, l'ensemble du processus – du concours d’architecture aux plans d’exécution – a été mené à l’aide d’un modèle de données paramétrique en trois dimensions.

La construction bois se prête particulièrement à la préfabrication. Lors de la production de la structure en bois, toutes les informations nécessaires peuvent alors être tirées directement du modèle BIM. De plus, le modèle tridimensionnel permet à l’ensemble des personnes impliquées d’acquérir sur une même base une compréhension approfondie du bâtiment et de coordonner les différents corps de métier, explique Implenia. Il permet aussi de vérifier à moindre frais les coûts du projet et les objectifs en matière de durabilité.

Un immeuble de taille facile à vivre

L’imposante taille du bâtiment pourrait paraître dissuasive. Pourtant, une architecture savamment travaillée a permis d’éviter cet effet. Le rez-de-chaussée propose une hauteur sous plafond de 4 m, les entrées sont lumineuses et la grande cour verdoyante rappelle un atrium. Malgré la densité du bâti, c’est une impression de générosité qui se dégage de ce projet.

Les appartements des trois maîtres d’ouvrage, à savoir la coopérative de logements autogérés GESEWO, GAIWO (logements pour rentiers AVS et AI) et la fondation de placements Adimora, se déclinent selon différents espaces de distribution, au travers de plusieurs typologies, dans la trame de la structure porteuse donnée. Leur point commun est d’être axés sur l’usage et d’offrir un apport généreux en lumière du jour. De manière systématique, les cuisines sont rattachées à la pièce principale, voire y sont intégrées tout en évitant le recours à des ilots de cuisine encombrants. Quant aux espaces extérieurs, le choix s’est porté sur de généreuses loggias de 6 à 11 m2.

Un agenda ambitieux

Ce premier bâtiment achevé sur le site de la Lokstadt fait office de référence. Située à quelques pas seulement de la gare et du centre de Winterthour, la totalité du nouveau quartier de la Lokstadt est censée répondre aux exigences fixées par la Société 2000 watts – label auquel le site répond déjà. À côté du bâtiment Krokodil, une tour de 30 étages verra le jour d’ici 2025. Plusieurs constructions neuves, mais aussi des halles industrielles historiques reconverties complèteront l’offre, proposant logements, hôtels, espaces de coworking, salles de fitness, espaces culturels, commerces et cabinets médicaux. Places et voies piétonnes arborisées domineront les espaces extérieurs, et les façades du patrimoine bâti conserveront les traces du passé industriel. Le site de la Lokstadt deviendra ainsi un quartier urbain au caractère unique.

Le tout doit être achevé et mis en service d’ici 2025. Un agenda bien rempli, certes, mais l’expérience du Krokodil à Winterthour a fait ses preuves, la mise en location et en vente des biens ayant été un franc succès.

 

Légendes:

Vue aérienne du site de la Lokstadt. Le bâtiment Krokodil en construction sur la photo constitue la première étape du nouveau quartier.

 

Plan général du site de la Lokstadt. Ici, un nouveau quartier verra le jour d’ici à 2025. Le Krokodil est le premier bâtiment à avoir été achevé.

 

Plan du rez-de-chaussée

 

Plan d’étage

 

Coupe longitudinale

 

Cage d'escalier construite de manière hybride. Les panneaux de bois font office de coffrage perdu.

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