«Tout ce qu'on in­vente est vrai»

Recension de la monographie sur Peter Märkli publiée chez Quart Publishers

Date de publication
15-11-2017
Revision
16-11-2017

«Tout ce qu’on invente est vrai, sois-en sûre. La poésie est une chose aussi précise que la géométrie. L’induction vaut la déduction, et puis, arrivé à un certain point, on ne se trompe plus quant à tout ce qui est de l’âme» C’est par ces mots de Gustave Flaubert sur le processus de création artistique que débute la monographie dédiée à l’architecte Peter Märkli. Cette curieuse analogie avec le romancier français se poursuivra au fil de l’ouvrage.

L’épais volume commence par une introduction de l’éditrice Pamela Johnston expliquant notamment la généalogie du titre et la référence à Flaubert. Il se poursuit par un texte d’Ellis Woodman et un entretien avec l’architecte réalisé par Elena Markus. Enfin, il s’achève par deux autres textes sur l’œuvre de l’architecte écrits respectivement par Florian Beigel, Philip Christou et Franz Wanner. Les férus de l’œuvre de Märkli apprendront certainement moins qu’ils auraient pu l’espérer. Les autres en sauront un peu plus sur les influences qui ont jalonné le parcours de l’architecte : sa formation mitigée à l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich dans les années 1970 lors du passage d’Aldo Rossi, mais surtout son apprentissage auprès de l’architecte Rudolf Olgiati et du sculpteur Hans Josephsohn.

Prélude obligé lorsqu’on aborde l’architecture de Märkli, même récente, le premier projet présenté date de 1991 et c’est forcément la maison à l’île de la Dominique, sorte de modèle idéal et non réalisé d’une architecture rudimentaire mais fondatrice dans l’œuvre de l’architecte. On regrette peut-être l’absence du projet de La Congiunta au Tessin, conçu lui aussi dans les années 1990 pour accueillir les sculptures de Josephsohn. Pourtant, dans les textes publiés dans le livre, la référence à ce projet revient souvent. Au prix d’une analogie audacieuse rapprochant les bâtiments de Märkli à l’archétype architectural du temple, on lira ainsi dans le texte de Wanner, par exemple, que La Congiunta occupe dans son œuvre la même place que la basilique de Vicence chez Andrea Palladio.

La monographie consacrée aux projets récents occupe la partie centrale du livre. Les 14 projets réalisés lors de la dernière décennie sont largement et précisément illustrés. On retiendra notamment deux bijoux de l’architecture de l’habitation, art dans lequel Märkli est passé maître : d’abord un immeuble de logements à Zurich (2012-14), ensuite une maison--atelier pour musicien à Rumisberg (2013).

Au rez-de-chaussée des deux barres de logements Im Gut, l’architecte accole une série d’appendices contenant les buanderies. Du côté intérieur de l’îlot, un portique continu longe l’immeuble. Ces deux dispositifs ont un double intérêt. D’abord, ils maintiennent une distance et donc la privacité des logements situés au rez-de-chaussée. Ils permettent surtout d’ancrer les deux barres dans une urbanité que l’on connaît habituellement dans des villes dites constituées. Mises en regard dans l’ouvrage (p. 198), les images de l’immeuble zurichois, du corso Palladio à Vicence et de l’avenue de l’Opéra à Paris, dont la juxtaposition paraît d’abord incongrue, prennent sens.

Dans un tout autre registre, dans la maison-atelier située dans les environs de Berne, le contraste entre enveloppe extérieure et atmosphère intérieure est saisissant. Par un jeu subversif, le degré de domesticité semble avoir été volontairement inversé par Märkli. Ainsi, en arrivant à la maison, à flanc de vallée et face au lac, les calmes lignes horizontales du coffrage du béton et de la toiture ne laissent rien paraître de la crue nudité des murs intérieurs en briques creuses laissées apparentes. Seul repère dans ces atmosphères dignes d’une construction inachevée, un badigeonnage blanc dessine un nouvel horizon à l’intérieur des pièces.

Dans la domesticité attentionnée des immeubles de logements ou, au contraire, la crudité expressive de la maison-atelier, l’architecture de Märkli transmet une forme de raffinement sauvage, peut-être aussi une sensibilité rare qui le range, faut-il encore le souligner, dans le camp des artistes étonnants. Dans une marge du livre (p. 159), Märkli cite encore une fois Flaubert. Décidément. Peut-être est-ce encore la meilleure manière d’exprimer ce que l’on ressent lorsqu’on expérimente ses bâtiments: «Je me souviens d’avoir eu des bâtiments de cœur, d’avoir ressenti un plaisir violent en contemplant un mur de l’Acropole, un mur tout nu, (celui qui est à gauche, quand on monte aux Propylées)… Dans la précision des assemblages, la rareté des éléments, le poli de la surface, l’harmonie de l’ensemble, n’y a-t-il pas une Vertu intrinsèque, une espèce de force divine, quelque chose d’éternel, comme un principe?»

 

Peter Märkli – Everything one invents is true

 

Couverture du livre

Peter Märkli – Everything one invents is true
Edité par Pamela Johnston
Quart Publishers, Lucerne, 2017 / fr. 138.–

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