#Thi­sI­sA­Be­gin­ning1

Le pavillon grec fait preuve d’un authentique esprit de renouveau.

Date de publication
14-07-2016
Revision
21-07-2016

Le collectif, pour l’essentiel féminin, qui a aménagé le pavillon, l’a tout d’abord libéré des nombreuses cimaises bleuâtres de l’édition de 2014 qui portait sur le tourisme, ainsi que de son faux plafond. Ces signes apparents de changement accompagnent une réorientation autant de la procédure de sélection des participant-e-s que de la nature des participations. Cette édition est une expérimentation collective dont l’objectif n’est pas tant d’assurer une exposition que d’inventer une boîte à outils profitable au plus grand nombre.

#ThisIsACo-op

Plutôt qu’un choix restreint de quelques noms connus, traditionnellement plus si jeunes et éminemment masculins, cette édition propose un collectif de 136 architectes. Les deux tiers sont des femmes et elles/ils viennent de la Grèce entière mais également de la diaspora récente. Comment s’explique ce nombre si élevé et quel est l’historique de ce renouveau? Tout d’abord le commissariat est, pour la première fois dans l’histoire du pavillon, confié non pas à un individu mais à l’Association des architectes grecs (SADAS-PEA). Il s’agit d’un organisme à vocation scientifique né en 1922 dans le contexte d’une crise migratoire similaire à celle d’aujourd’hui. C’est donc une association historiquement liée à un souci du collectif et du bien commun qui caractérise la démarche. Toutes les propositions reçues qui respectaient les consignes ont été acceptées. L’Association a souhaité apprendre des mouvements des places et des pratiques de non-spécialistes, qui ont, depuis 2010, créé et géré de nombreux espaces collectifs dans les villes grecques, plutôt que s’inspirer des institutions habituellement investies d’un pouvoir organisateur.

Malgré ces nobles intentions, le processus n’a pas été et n’est toujours pas évident à l’intérieur de cette grande équipe formée par des architectes de tout bord que la Biennale a fait travailler ensemble pour la première fois. Le collectif comme modèle méthodologique «dominant» est aussi une grande première dans ce pays où le manque de transparence institutionnelle fut longtemps la principale caractéristique de la gestion des communs. Les frictions, les désaccords et les dissensus suscités par cette entreprise sont nombreux et concernent tous les niveaux aussi bien à l’intérieur du groupe invité qu’à l’extérieur. Signe qui ne trompe pas, la presse grecque a d’ailleurs plutôt accueilli l’expérience négativement.

Dans ce climat rarement fructueux et prenant en compte le budget très faible qui lui a été accordé, l’équipe se montre cependant satisfaite de ce qui a pu s’accomplir, même si le véritable résultat ne sera visible qu’à partir de la fin de l’expérience en novembre, laquelle marquera le passage vers la prochaine étape. En effet, le pavillon n’est qu’un premier stade. Il portera ses fruits de coopération et de planification stratégique à l’échelle internationale à l’issue de la programmation prévue.

PeripheRealities2

Parallèlement aux projets exposés, ce qui est mis en place est avant tout un espace amphithéâtral pour la lecture, la discussion et des projections, entouré des surfaces noires où les participants et les visiteurs peuvent écrire ou dessiner à la craie. Le caractère participatif du lieu est renforcé par un programme de rencontres internationales autour des cinq thématiques choisies pour leur actualité brûlante: la crise de ce qu’on appelle une ville, le sort des réfugié-e-s autour du globe et notamment au sein de la communauté européenne, le devenir de l’espace commun, la crise internationale qui touche la profession architecturale elle-même et, enfin, l’importance du collectif comme méthode. Ces sujets concernent la communauté mondiale (des architectes), tout en se faisant sentir, ces dernières années, de manière particulièrement urgente en Grèce. C’est cette jonction entre les difficultés locales d’un petit pays du Sud européen et les impasses du système néolibéral qu’ambitionne d’apporter l’initiative Peripherealities via un programme qui vise à circonscrire les réalités de la périphérie, à cartographier et à détecter les possibles actions communes face au démantèlement qui se déroule actuellement dans l’espace public.

De mai à novembre 2016, à raison de deux jours par mois, ces rencontres s’organisent sous l’égide de trois principes connexes: assemblée, synergie, symbiose (en grec : Syneleusis – Synergeia – Symbiosis). Ce triptyque cherche à répondre à trois questions vitales: comment on se rassemble, comment on agit ensemble, comment on vit ensemble.

Rien qu’au seul mois de juin ont eu lieu plusieurs rencontres importantes. Une avec le collectif équatorien Al Borde Arquitectos3 autour de la pratique de l’architecture dans une économie alternative, ainsi qu’une autre sur le musée comme espace commun avec la Biennale Urbana4, une initiative vénitienne qui explore et réfléchit les relations entre la Biennale, la ville et la région vénitienne, en collaboration avec l’Università IUAV di Venezia. En mai, a déjà été inauguré un travail de longue haleine avec la European Coalition for the Right to Housing and the City5, l’International Alliance of Inhabitants6 et Eddyburg7. A la fin du mois de juin, le programme incluait par exemple Soha Ben Slama, coordinatrice de l’International Alliance for Inhabitants de Tunisie. Auront également été présents les journalistes des The Migrant Files8 tout comme Nikolaos Vasilopoulos, membre de la Refugee Accomodation and Solidarity Space City Plaza à Athènes, pour enrichir la réflexion sur le logement des réfugié-e-s, et bien d’autres encore.

Ouverture littérale à l’espace politique

Dans le contexte cosmopolite de la Biennale, une machine de recherche polyphonique se met ainsi en marche pour faire travailler ensemble les architectes, les habitants et les activistes du logement et des frontières. Selon le souhait de #ThisIsACo-op, l’ensemble des contributions servira comme matériel pour des coopérations en dehors de cette édition de la Biennale, qui a permis que ce double amphithéâtre soit fabriqué.

Iris Lykourioti, une architecte participante que j’ai interviewée pour la rédaction de cet article ne m’a pas précisé si l’inspiration pour la fabrication de ce petit théâtre en miroir venait du SESC Pompeia9 de Lina Bo Bardi. Je suis cependant convaincue qu’elle est fondamentalement d’accord avec la vision que l’architecte italienne a défendu: «Qu’est-ce que l’architecture sinon le moyen le plus efficace pour combattre l’injustice sociale?»10


Notes

1. #CeciEstUnPointDeDépart, titre inspiré par celui du pavillon : #ThisIsACo-op (#CeciEstUneCo-opération), jeu de mot sur le hashtag #ThisIsACoup (#CeciEstUnCoupd’état) qui a inondé twitter et le web le soir du 12 juillet 2015 en soutien au Premier Ministre grec lors de ses dernières négociations avec l’Eurozone. Pour plus d’informations: http://thisisaco-op.gr 

2. Extension de la thématique Peripheries avancée par Alejandro Aravena, Peripherealities accueille également dans l’amphithéâtre du pavillon grec des discussions de la programmation centrale de la Biennale.

3. www.albordearq.com

4. http://biennaleurbana.com

5. www.housingnotprofit.org/fr. Il s’agit d’un réseau européen qui œuvre pour le respect du droit au logement.

6. www.habitants.org. Il s’agit d’un réseau mondial d’associations, de mouvements sociaux, de locataires et de propriétaires, de communautés et de coopératives qui s’activent pour le logement équitable et contre les expulsions.

7. http://archivio.eddyburg.it. Site vénitien très actif qui recense, rassemble et facilite les échanges autour du problème du logement.

8. www.themigrantsfiles.com

9. Pour un témoignage sur la construction et le programme du bâtiment en question : http://linabobarditogether.com/2012/08/03/the-making-of-sesc-pompeia-by-marcelo-ferraz/

10. «Architecture or architecture» in Diário de Notícias (Salvador, Bahia), 14 September 1958, repris dans Lina Bo Bardi, Stones against Diamonds, Architectural Association of London, coll. Architecture Words 12, Londres, 2013.

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