Théâtre de Ca­rouge (GE)

Pour cet épisode de la série "En visite" créée en collaboration avec la SIA Vaud, Camille Claessens-Vallet est allée rendre visite à François Jolliet de Pont12 au Théâtre de Carouge.

Date de publication
03-01-2023

Théâtre de Carouge, samedi matin. Les décors pour la représentation du soir sont déjà en place. Les architectes en visite se rejoignent sur l’esplanade devant le foyer, explorent d’abord la salle des fêtes, restaurée quasiment à l’identique, puis pénètrent dans le théâtre. Ils arrivent dans la grande salle, traversent la scène et passent en coulisse par la grande porte qui relie le monde du spectateur à celui de l’acteur – au sens de «acte», celui qui agit. On les entend monter dans les étages. François Jolliet, associé chez Pont 12, est assis en bord de scène. Jeu de mains.

François Jolliet: Ici, c’est un théâtre de création ; pas seulement un théâtre d’accueil. On y crée des spectacles destinés à partir en tournée. À la lecture du programme, il est devenu évident que la halle de montage était ce qui devait polariser l’ensemble du travail à l’arrière, ce qui devait fédérer tous les ateliers, les bureaux et les différentes scènes qui gravitent autour. Pour y accéder, on passe par cette énorme porte (geste vers l’arrière), par laquelle le théâtre gagne en profondeur. La halle de montage est traitée à la manière d’une cour intérieure (main en creux, vers le bas), la lumière y pénètre, comme dans un cœur d’îlot. La circulation (index gravitant autour de la main, en spirale) qui tourne autour de ce pôle répond en miroir à l’autre pôle du théâtre, qui est le foyer. Lors du concours pour la Comédie de Genève, gagné par Fres architectes, on ne lui avait pas donné assez de valeur. Ici, on n’a pas commis la même erreur : le foyer et sa coque de béton, reflet des assises du théâtre, est le plus ouvert possible sur l’esplanade.

Camille Claessens: Et ces assises?
Normalement, dans un théâtre, on devrait avoir 90 cm d’un rang à l’autre. Ici, on a privilégié un peu plus de confort, c’est-à-dire 95 cm d’un rang à l’autre, pour avoir justement cette présence du spectateur. Ensuite on respecte des lignes de vision ou tout le monde doit voir le plateau – ça peut sembler une évidence, mais ce qui se passe côté cour et côté jardin était caché dans l’ancien théâtre, notamment par des marouflages. Il y a aussi une ligne de vision qui est dessinée d’un rang à l’autre pour établir un quinconce des têtes – pour que vous puissiez voir entre celles qui sont devant vous – et des cotes qui sont respectée pour que le regard passe. L’objectif est que, même au fond du théâtre, on soit soi-même, pleinement. On sent bien sûr ses voisins, mais ils ne nous gênent pas: on est projeté sur scène.

Et la ville?
S’insérer dans la ville était un exercice difficile (mains crispées). À Carouge, le contexte est relativement serré, très urbain. On n’est pas non plus dans une trame carrée: ici, on est proche du Rondeau de Carouge, ça part donc en étoile.

En plus, on construit en partie sur un parking souterrain. Au moment du concours, on peut voir que le projet était relativement compact par rapport à d’autres. La salle des fêtes existante n’a pas été mise sous le même toit que le théâtre, pour plus de compacité. Ensuite (comme un habit que l’on serre), on a taillé le costume du théâtre au plus près des différents volumes nécessaires pour la salle de répétition, la petite salle et surtout la grande salle, qu’on a intentionnellement mise au centre de l’îlot. Vous savez qu’une cage de scène, c’est très encombrant dans une ville. Mais pour nous, c’était sans concession. Si on a démoli l’ancien théâtre brutaliste des années 1970 – qui était magnifique – c’était pour mettre la scène au niveau de la ville. À partir de là, c’est 20 m sous le gril et encore 4 m de grill et de construction d’isolation de toiture: le gabarit est donc à 24 m au-dessus du sol.

Et la façade?
Lorsqu’on a dit à la Ville qu’on ne voulait pas de béton, on a vu des sourires. On voulait aller vers de la brique; une brique qui soit claire et proche de la pierre qu’on a ailleurs à Carouge. On aurait pu avoir un petit plaquage, mais l’effet n’aurait pas été le même. On a voyagé un peu. Il y a des traditions de la brique en Europe, dans les lieux où il n’y a pas de pierre – le nord de l’Europe, entre le Danemark et l’Allemagne. Là-bas, les gens ne disent pas backstein d’ailleurs, mais stein, point. C’est leur pierre à eux. Là-bas, on construit non seulement les bâtiments, mais aussi les infrastructures et les ouvrages d’art en brique. Au théâtre de Carouge, il s’agit d’une brique moulée (geste de moulage) – dans une machine, certes – mais cela fait que chaque élément a une individualité. On a mis en œuvre jusqu’à 300 000 briques (geste de pose), en faisant attention de ne pas faire de joint, puisqu’on a un problème de dilatation. Ça dilate peu la brique, mais ça dilate quand même. Il a donc fallu concevoir une façade la plus monolithique possible, développer un rideau sur la plus grande distance possible, et de là laisser librement le mur bouger. La cage de scène, par exemple, bouge pour elle-même. C’est comme un pont – parce que dans les ponts, on n’a pas le choix. Il y a bien sûr des liaisons, de petites tiges en inox, mais l’enveloppe est indépendante (geste de dilatation). Dans le modèle monté par les ingénieurs, on la voit pulser: c’est comme un cœur que vous verriez s’ouvrir et se fermer.

Intervenants

 

Maître d’ouvrage
Ville de Carouge

 

Architecture et direction des travaux
Pont12 Architectes

 

Génie civil
EDMS

 

Ingénierie CV
Jakob Forrer

 

Ingénierie S
SRG / engineering

 

Ingénierie E
Thorsen

 

Ing. scénographe
Thierry Guignard

 

Géotechnique
De Cérenville

 

Ingénierie façade
ZPF Ingenieure

 

Architecture paysagère
Klaus Holzhausen et Interval Paysage

 

Concours
2012

 

Réalisation
2018-2021

Magazine

Sur ce sujet