Tar­zan, la mai­son en bois et le rêve amé­ri­cain

Plus la collection de films sur le héros Tarzan - inaugurée par "Tarzan, l'homme singe" réalisé par W.S. Van Dyke en 1932 - s'étoffe, plus celui-ci tend à se fondre dans un certain American way of life, note Le Silo

Date de publication
19-11-2014
Revision
25-10-2015

En 1932, la Metro-Goldwyn-Mayer (MGM) inaugurait la plus populaire des séries filmiques de Tarzan avec Tarzan, l’homme singe. Réalisé par W. S. Van Dyke, le film n’était pas la première adaptation à l’écran du très populaire roman qu’Edgar Rice Burroughs écrivit en 1912. Il s’agissait, néanmoins, du premier Tarzan sonore, celui qui allait populariser le célèbre cri du héros (un yodel autrichien joué à l’envers), interprété par l’ancien champion olympique de natation Johnny Weissmuller. Tarzan, l’homme singe fut un énorme succès et la MGM se lança rapidement dans une suite, le tournage de Tarzan et sa compagne débutant en août 1933. Dans cette deuxième aventure, Tarzan et Jane (interprétée par Maureen O’Sullivan) vivent leur idylle dans une jungle paradisiaque, avant qu’un ancien associé du père de Jane n’essaye de l’attirer vers le monde « civilisé ». Mais Jane résiste et le film contient l’une des plus célèbres scènes érotiques du cinéma américain des années 1930 : le ballet aquatique pendant lequel Josephine McKim (qui double O’Sullivan dans les scènes de natation) nage entièrement nue à côté d’un Tarzan musclé et athlétique, mais en pagne. Violant explicitement le code Hays (le code de censure régissant, à partir de 1934, la production des films), la scène est coupée au montage.
En 1935, débute le tournage de Tarzan s’évade. Bien qu’interprétés par les mêmes acteurs, Tarzan et Jane ne sont plus tout à fait les mêmes. Ils habitent désormais une maison tout confort, idéalement située (perchée sur un arbre) et qui n’a rien (ou presque) à envier aux foyers formatés par le rêve américain que l’on trouve de l’autre côté de l’océan. Il est loin le temps où Tarzan prenait une liane pour s’installer avec Jane sur une petite plateforme inconfortable, nichée dans les branches d’un arbre. L’homme-singe prend désormais l’ascenseur (actionné par son ami l’éléphant) pour monter les « courses » de la journée, à l’instar de n’importe quel autre habitant des jungles urbaines. Cheetah s’occupe de faire tourner le grill dans lequel Jane prépare son rôti, et c’est aussi le serviable chimpanzé qui fait tourner le ventilateur. En bonne ménagère, Jane a domestiqué leur cabanon sauvage, lui donnant des allures « civilisées » qui présagent le bungalow de banlieue d’après-guerre : des taies d’oreiller peau de zèbre et des tapis muraux léopard – que l’on aurait pu acheter dans n’importe quel grand magasin occidental – ornent ainsi leur maison. Il est loin le temps où Tarzan se précipitait voluptueusement sur le corps de Jane et où celle-ci plongeait nue dans un fleuve habité par des crocodiles (dans le film suivant, Tarzan trouve un fils, Jane et Tarzan se passent de la mécanique charnelle de la reproduction et découvrent un bébé dans la jungle – même si la première version du scénario stipulait que Jane donnait effectivement naissance à un fils). Le puritanisme et le consumérisme de l’American way of life ont dompté le désir comme si celui-ci était un fauve : même dans la jungle, Jane et Tarzan se retrouvent, eux aussi, pris au piège de la domesticité.

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