Ta­blier com­po­site du pont sur l’Avan­çon

C’est une première en Suisse. Le pont sur l’Avançon, initialement en béton, a été remplacé par un tablier en sandwich composite. Une technique qui permet d’associer légèreté et performance.

Date de publication
12-11-2012
Revision
01-09-2015

La mise en conformité au trafic 40 t du pont sur l’Avançon, situé sur le tracé de la RC715 proche du site historique des Salines de Bex, est une première suisse : un tablier sandwich composite, à base de polymère renforcé de fibres de verre (PRFV) et d’un noyau en bois de balsa, a été mis en place. 
Les poutres et le tablier en béton du pont existant, construits au début des années 1900, étaient particulièrement dégradés et il s’est rapidement avéré qu’une reconstruction intégrale du tablier serait financièrement profitable. De plus, l’ancien tablier ne permettait ni le passage des véhicules supérieurs à 28 t, ni un croisement aisé. Fort de ces constatations, le Service des routes du Canton de Vaud a décidé de profiter des travaux pour remplacer et élargir l’ouvrage dont la largeur totale est passée de 5,30 à 7,50 mètres.
La RC715 étant le seul accès direct de Bex à Gryon, il fallait privilégier une solution minimisant le temps de fermeture de la route. Différentes variantes ont été analysées et le choix s’est porté sur une solution comprenant un tablier léger en matériaux composites. Afin de réduire la durée de fermeture de la chaussée (qui a été limitée à deux semaines), il a été décidé de préfabriquer la structure et de procéder ensuite à sa mise en place en un seul bloc. Le tablier composite a été collé sur un cadre rigide composé de deux poutres longitudinales en acier, encastrées dans les entretoises de culée.
Dès la fermeture de la route, deux jours ont été nécessaires pour démolir et évacuer l’ouvrage existant (doc. 3). Une fois le pont démoli, la nouvelle structure a pu être mise en place par levage, en quelques heures et en une seule pièce (doc. 2). Restait alors à exécuter les dalles de transition et à poser le revêtement avant de pouvoir rouvrir la route au trafic.

Pont bi-poutres avec tablier « sandwich composite »

Le tablier, en structure sandwich composite, est collé sur les ailes des deux poutres métalliques en composé soudé (Acier S355) d’une largeur de 400 mm et de 650 mm de hauteur. Compte tenu de la largeur totale et d’un espacement de 3,90 m entre les poutres, le tablier composite présente des portes-à-faux de 1,80 m. Ce point a rendu nécessaire, entre autres, une analyse des déformations de la structure au droit des culées. Les éléments métalliques ont été protégés de la corrosion par un zingage à chaud. La nouvelle structure a été scellée sur les culées historiques en moellons de l’ouvrage à l’aide de goujons. Après sa mise en place, les entretoises ont été liées aux nouvelles dalles de transition coulées sur place, créant un concept de « pont intégral » (pont sans appui ni joint de chaussée).
La structure sandwich composite utilisée se compose de deux faces fines en matériau PRFV à hautes performances qui sont collées de part et d’autre d’un noyau léger en bois (doc. 6). Ce procédé permet de créer une plaque à la fois légère, rigide et résistante. Les faces inférieures et supérieures assurent la résistance à la flexion, alors que le noyau reprend les efforts de cisaillement et assure la diffusion des forces de compression perpendiculaires au plan du sandwich résultant des charges de trafic. Matériau naturel et renouvelable exceptionnellement léger provenant de plantations certifiées FSC (Forest Stewardship Council, garantissant une reforestation continue et préservant la biodiversité au bénéfice de l’environnement et de la population), le bois de balsa présente des propriétés anisotropes. En orientant les fibres du bois perpendiculairement au plan du sandwich, on tire parti de la grande résistance spécifique à la compression et au cisaillement de ce matériau qui se prête parfaitement à la fonction dévolue au noyau. De façon plus générale, il est possible d’optimiser le comportement structurel des structures sandwich utilisant des faces en PRFV en orientant les fibres de renfort selon la direction des efforts principaux.
La structure sandwich du tablier du pont sur l’Avançon est composée d’un noyau balsa de 240 mm d’épaisseur, confiné sur toutes ses faces par un laminé PRFV de 22 mm. Le procédé d’infusion sous vide de résine vinylester garantit la cohésion des faces sur le noyau ainsi qu’une parfaite étanchéité, gage de durabilité.

Bien que l’épaisseur totale du tablier composite (285 mm) soit du même ordre de grandeur que celle d’un tablier classique en béton (de 250 mm en travée à 300 mm au droit des poutres métalliques), son poids total est significativement plus faible grâce à un poids propre de seulement 160 kg/m2 (contre 700 kg/m2 pour la variante en béton).
Le tablier a été préfabriqué en usine, par le biais de trois panneaux qui ont été assemblés sur site par collage pour former un ensemble structural continu. Exploitant des recherches menées par l’EPFL-CCLab [1] [2], le tablier sandwich composite a ensuite été fixé par collage sur les poutres en acier, permettant un fonctionnement mixte de la nouvelle structure avec ces dernières, augmentant de ce fait la rigidité longitudinale de l’ouvrage.

Dimensionnement

Le dimensionnement de l’ouvrage se base sur les normes suisses SIA 260 [3] et SIA 261 [4]. Les vérifications des poutres en acier et du noyau en bois de balsa sont effectuées conformément aux normes SIA 263 [5] et SIA 265 [6]. En l’absence de norme établie pour la construction en matériaux composites PRFV et pour les assemblages par collage, ce sont les recommandations et les coefficients de résistance sur les matériaux du BÜV [7] et d’EUROCOMP [8] qui ont été utilisés pour la vérification des faces composites. Le comportement structurel de l’ouvrage a été analysé avec un modèle éléments finis 3D utilisant des éléments coques multicouches, alors que la vérification de détails locaux (comme par exemple celle des contraintes au niveau du collage entre le tablier et les poutres) a été effectuée à l’aide de modèles éléments finis solides.
Base essentielle pour le dimensionnement, les caractéristiques des matériaux ont été déterminées à partir d’essais complets. Un effort particulier a été porté sur la caractérisation du noyau en balsa de grande épaisseur, notamment pour tenir compte de l’orientation des fibres du bois, mais aussi sur le laminé PRFV en fonction de l’orientation des efforts par rapport aux fibres. Les essais ont été réalisés non seulement sur les matériaux de base, mais aussi sur les structures mixtes afin de tenir compte de l’interaction entre les matériaux : des poutres sandwich ont été testées en flexion pour déterminer leur rigidité et leur résistance. Les essais de flexion 4 points en laboratoire sur des éléments réduits ont prouvé l’exceptionnelle résistance à la fatigue des structures sandwich avec un noyau en bois de balsa, puisque les poutres ont été soumises à 107 cycles sous une amplitude de charge correspondant au niveau d’endurance de l’ouvrage, sans qu’on observe une diminution de la rigidité ou des ruptures.
Des essais de fatigue ont aussi été menés sur des poutres en grandeur réelle (doc. 7), incluant un assemblage collé similaire à la configuration de l’ouvrage. 5 x 106 cycles de charge ont été appliqués afin de vérifier le comportement en fatigue adéquat pour la durée de vie prévue de 100 ans et pour la catégorie de l’ouvrage donnée. A l’issue de cet essai de fatigue, les poutres sandwich ont été chargées jusqu’à la rupture pour vérifier les propriétés restantes. Ces essais, réalisés en étroite collaboration entre l’EPFL-CCLab, Suisse Technology Partners et 3A Composites, ont montré que la sollicitation en fatigue n’avait eu aucun impact sur la rigidité et sur la résistance de la structure, puisque les valeurs mesurées correspondent exactement au comportement attendu, validant ainsi le modèle de dimensionnement (doc. 5).

Détails constructifs

Le projet a aussi nécessité de développer et de valider certains détails constructifs tels que l’intégration de points d’ancrage pour les poteaux de glissières de sécurité (doc. 10), l’évacuation des eaux avec en particulier le détail de la goutte pendante sous l’ouvrage (doc. 11) ainsi que la transition de l’ouvrage avec la chaussée.
Concernant les glissières, des essais statiques ont été réalisés sur des systèmes de retenue standard. Ils ont montré que le profilé IPE100 des poteaux des glissières plastifie sans impliquer de dommages à la structure composite (doc. 8). Afin de vérifier le système de fixation sous de plus fortes charges (en cas de chocs, les forces en jeu peuvent être plus élevées en raison de la dépendance du comportement de l’acier et de la vitesse de déformation), des essais complémentaires sur des poteaux de glissière modifiés utilisant des profilés IPE140 ont été conduits. Il en est résulté que des charges correspondant à près du double des exigences fixées par l’Office fédéral des routes en terme de résistance à l’arrachement des points d’ancrage ont été atteintes, sans qu’on observe de dommages ni sur le tablier composite ni sur le système de fixation.
Le composite n’étant pas à même de supporter les températures nécessaires pour la pose d’un enrobé traditionnel, le tablier composite a été revêtu d’une couche de 60 mm d’un mélange bitumineux tiède de type AC 11S (avec 1 % d’additif Greenseal BT) dont la température de mise en œuvre reste inférieure à 120° C. Des essais de validation concernant la comptabilité et l’adhésion de l’enrobé sur le composite ont été réalisés conjointement avec l’EPFL-LAVOC, ainsi qu’avec l’EMPA. Ils ont abouti au développement d’une couche intermédiaire augmentant la rugosité de la surface du composite (doc. 12) et garantissant une résistance suffisante au cisaillement de l’interface tablier-enrobé. Des joints de chaussée en bitume polymère ont été placés aux extrémités du pont pour recouvrir la jonction entre le tablier composite et les dalles de transition.

Première pour une technologie prometteuse

La réfection du pont sur l’Avançon a permis de développer et de mettre en œuvre pour la première fois en Suisse une solution de tablier en sandwich composite. On dispose ainsi de solutions pour les détails constructifs et de méthodes de dimensionnement pour une nouvelle technologie qui présente d’importants atouts en termes de légèreté, de durabilité et de résistance à la corrosion.
Par rapport à d’autres technologies composites, les structures sandwich avec des noyaux en bois de balsa présentent plusieurs avantages. En plus d’offrir une excellente résistance à la fatigue et une grande flexibilité quant à la géométrie, il est possible de prévoir des renforts localisés pour l’introduction ponctuelle de forces, ceci tout en intégrant un matériau naturel et renouvelable comme le balsa. Si l’utilisation d’essences de bois locales pour le noyau est envisageable moyennant certains développements, elle se ferait toutefois au détriment de l’extrême légèreté du balsa et risquerait de nuire aux excellentes performances offertes par ce bois.
Par comparaison avec du béton coulé sur place, l’utilisation d’éléments préfabriqués nécessite un relevé précis de la géométrie de l’ouvrage, puisque les éléments composites ne sont que difficilement ajustables sur site. Un désagrément qui peut toutefois être compensé par une étude soignée des détails de construction et des tolérences de pose suffisantes.
Même si le coût des matériaux utilisés pour les structures sandwich composite est supérieur à celui de l’acier ou du béton, cette technologie est prometteuse pour des projets où la légèreté, les délais ou la durabilité sont essentiels. La préfabrication d’éléments légers aboutit à une mise en place simple et rapide, qui permet notamment de réduire le temps d’interruption du trafic ainsi que les frais généraux du chantier. Compte tenu des connaissances actuelles en matière de durabilité des matériaux composites, on peut en outre s’attendre à un accroissement de la durée de vie et à une réduction des coûts d’entretien.

Sébastien Nendaz est ingénieur civil et travaille comme chef de la section ouvrages d’art au Service des routes du Canton de Vaud
Sébastien Lavanchy est ingénieur en systèmes industriels HES et travaille comme chef de projet au sein de la société 3A Composites

 

 

Références :

[1] Keller T., Gürtler H., « Composite action and adhesive bond between FRP bridge decks and main girders », Journal of Composites for Construction 9/4 (2005), pp. 360-368
[2] Keller T., Schollmayer M., « Through-thickness performance of adhesive joints between FRP bridge decks and steel girders », Composite Structures 87/3 (2009), pp. 232-241
[3] Norme suisse : SIA 260 Bases pour l’élaboration des projets de structures porteuses, 2003
[4] Norme suisse : SIA 261 Actions sur les structures porteuses, 2003
[5] Norme suisse : SIA 263 Construction métallique, 2003
[6] Norme suisse : SIA 265 Construction en bois, 2003
[7] BÜV-Empfehlung : Tragende Kunststoffbauteile im Bauwesen – Entwurf, Bemessung und Konstruktion, Stand 08/2010
[8] Eurocomp, 1996, « Structural Design of Polymer Composites », Eurocomp Design Code and Handbook (J. Clarke, ed.), E&FN Spon, London

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