Still Life
Dernière Image
Le Silo, un collectif de chercheuses dédié aux images en mouvement, présente un excursus au croisement du cinéma et de l’architecture. Dans cette contribution, Silo porte son regard sur l'architecture chinoise à travers le film Still LIfe de Jia Zhang-ke.
Jia Zhang-ke a conçu Still Life pendant la préparation de Dong, un documentaire sur le travail du plasticien Liu Xiaodong. Liu souhaitant se rendre dans la région des Trois Gorges pour peindre des ouvriers, Jia décide de tourner deux films simultanément, dans l’urgence et avant que le barrage des Trois Gorges n’inonde complètement les environs. Jetant un regard nostalgique sur des lieux et des modes de vie sur le point de disparaître la Chine passant du communisme maoïste à l’économie de marché , Jia imagine un double scénario. D’une part, il raconte l’histoire de Sanming, un homme du Shanxi de passage à Fengjie où il espère retrouver son ex-femme et sa fille après seize ans d’absence. D’autre part et de l’autre côté du fleuve, Shen Hong recherche son mari qui n’est pas rentré à la maison depuis trois ans pour demander le divorce. Bien qu’indépendants, ces deux récits partagent un même environnement promis à la ruine. Surgie il y a plus de deux mille ans, la vieille ville de Fengjie où habitait la femme recherchée par Sanming est déjà sous l’eau à son arrivée. Il « s’installe » donc dans la partie haute de la ville et s’engage sur les chantiers de démolition. Quant à Shen Hong, elle parcourt l’usine désaffectée où travaillait son mari.
Il y a deux histoires parallèles, un homme et une femme, des extérieurs luminescents et des intérieurs peu éclairés, la nature et la ville : Still Life s’élabore à partir de binômes tranchés et l’on s’attend à rencontrer un contrepoint à la ruine, omniprésente. Générant un contingent d’un million de déplacés, le barrage grand projet d’ingénierie et produit de la plus haute technologie reste cependant hors champ. C’est une puissance invisible. En lieu et place, un autre chef-d’œuvre architectural apparaît vers la fin du film : le Pont Wuxia sur le Yangtsé à Wushan, que Shen Hong voit s’allumer alors qu’il est en compagnie de son ami archéologue. Inauguré en 2005, année du tournage du film, le Pont Wuxia est le plus grand pont en arc en tubes d’acier, et le sixième au monde en longueur de portée (460 mètres).
L’architecture en Chine a une affaire complexe. La profession s’est constituée à l’époque du gouvernement nationaliste de Nankin, mais le métier ne fut véritablement reconnu qu’après la mort de Mao alors que se développait, en opposition à une certaine tradition moderne, une pratique architecturale contemporaine. Jusque-là, conformément aux exigences du « réalisme socialiste », l’architecture devait avoir « un contenu socialiste et une forme nationale ». Autour de 1970, le modernisme socialiste dominant les constructions sera fortement critiqué pour ses dimensions monumentales et pour son peu d’humanisme. Ainsi quand Shen Hong passe devant les énormes cylindres de l’usine abandonnée, le plan semble reconduire la critique adressée au modernisme socialiste. N’est-ce pas cette même tradition de projets architecturaux excessifs et spectaculaires que rejouent la monumentalité du Pont Wuxia et celle (encore potentielle à l’époque du film) du barrage des Trois Gorges ?
www.lesilo.org