SIA: Amé­na­ger la crois­sance, mettre un terme à l’éta­le­ment ur­bain

Nombreux sont ceux qui craignent le mitage du territoire et la surpopulation de la Suisse. Reste à savoir si le problème relève effectivement de la croissance ou plutôt d’une Loi sur l’aménagement du territoire (LAT) qui fragmente les compétences et protège insuffisamment les espaces naturels.

Date de publication
26-02-2015
Revision
05-11-2015

La population suisse connaît une croissance rapide. Selon l’Office fédéral de la statistique (OFS), la population résidente a augmenté de 100 000 personnes en 2013, soit une hausse de 1,3 %. Les derniers chiffres de l’Office fédéral des migrations (OFM), pour la période allant de janvier à octobre 2014, indiquent une poursuite de cette tendance ; compte tenu de l’excédent des naissances, l’année à venir sera marquée par une augmentation du même ordre. Une croissance accélérée de la population est directement corrélée à celle de l’urbanisation : un nombre accru de personnes implique une extension des surfaces de logement et de travail, davantage de routes, de rails et d’infrastructures d’approvisionnement. Si l’on extrapole le rythme de développement actuel, on aboutit donc à un total de 10 millions d’habitants à l’horizon 2035, soit deux millions de plus qu’aujourd’hui.

Face à ces projections et au vu de l’initiative sur l’immigration dite de masse, il faut intelligemment considérer les atouts et les risques associés à cette dynamique de croissance. Il s’agit de mettre en évidence les options permettant de concilier développement économique et croissance, en mettant fin à l’étalement urbain et à la disparition des espaces naturels. Les professionnels des études, architectes et ingénieurs, doivent esquisser la Suisse de demain en démontrant de façon convaincante comment le pays peut s’adapter à une population croissante sans effondrement de ses réseaux de transport et sans renoncer à ses atouts spécifiques, ni sacrifier de précieuses ressources paysagères. Autrement dit, illustrer le développement d’un bâti en phase avec la croissance et en détailler la physionomie et le fonctionnement. Cela relève de la compétence et des responsabilités des concepteurs. On est certes en droit de se demander si le développement et la croissance, plutôt qu’une gestion territoriale trop laxiste, sont à l’origine du problème. Mais il est certain que seule une législation clairvoyante sur l’aménagement du territoire pourra assurer les conditions cadres permettant de réaliser les options envisageables. 

A nos yeux, les deux problématiques détaillées ci-après sont d’une actualité primordiale dans ce contexte et d’une importance essentielle dans l’optique de la deuxième étape de révision de la LAT.

Poursuite du développement qualitatif des espaces naturels


Comme l’ont montré plusieurs scrutins populaires au cours des dernières années, de larges groupes de citoyens rejettent l’éparpillement urbain croissant qui stigmatise la Suisse. La densité accrue des agglomérations nécessite des espaces non bâtis de qualité au sein du tissu urbain, mais aussi à sa périphérie proche et plus éloignée. Grâce à la séparation pionnière des surfaces constructibles et non constructibles inscrite dans la LAT et après une première révision largement axée sur l’arrêt de l’extension des zones à bâtir, l’émiettement urbain devrait trouver un frein. Reste le problème des constructions hors zone : selon le monitoring de l’Office fédéral du développement territorial (ARE), quelque 600’000 bâtiments, soit 24% de la substance bâtie en Suisse, ont à ce jour été érigés sur des terrains qui n’étaient absolument pas réservés à cette affectation. Et comme il s’agit pour la plupart d’objets isolés non rattachés à un concept d’urbanisation intégré, ce sont bien ces constructions hors zone à bâtir qui contribuent à étendre la dispersion urbaine dans notre pays.

La revendication répétée d’une protection renforcée des surfaces d’assolement et des terres arables manque son objectif en limitant trop fortement les marges de manœuvre. Car la focalisation persistante sur l’agriculture intensive et l’auto-approvisionnement de la Suisse fausse le débat. Pour un grand nombre de personnes, les surfaces hors zone à bâtir ont en effet une valeur avant tout récréative, qui plaide en faveur d’affectations intégrées. Outre une restriction beaucoup plus stricte des constructions hors zone à bâtir, et prioritairement dans les contextes où la densité urbaine sollicite une forte mixité d’usages, il s’agit donc d’ouvrir la voie à des exploitations agricoles conçues et valorisées de manière à ce qu’elles puissent durablement s’inscrire dans des espaces naturels aussi voués à la détente et porteurs d’identité. Or cela n’est pas possible si l’on se borne à fixer des contingents d’affectations. Les négociations doivent être menées dans le cadre de pesées d’intérêts, elles-mêmes dictées par les objectifs et les aspirations qualitatives qui motivent la planification directrice.

Réflexions à l’échelle d’espaces d’importance nationale


Les trois aires métropolitaines de Bâle, de Zurich et de l’Arc lémanique, associées à la « Région capitale suisse » (Berne), constituent les moteurs économiques de la Suisse. Or le développement territorial de ces trois espaces est crucial pour l’ensemble du pays. Ils doivent donc être traités comme des champs d’intervention d’importance nationale. Avec la transition d’une production industrielle vers une économie basée sur le savoir, les métropoles sont de plus en plus soumises à la compétition entre places économiques mondiales. Des facteurs tels que l’accessibilité internationale, un réseau de mobilité locale performant, la proximité de Hautes écoles, sans oublier la qualité de vie assurée par des paysages attrayants au voisinage immédiat de centres urbains densifiés, sont des atouts fondamentaux dans la concurrence que se livrent les régions métropolitaines pour attirer des emplois et des entreprises. Au niveau national, la priorité commande donc de pérenniser l’attrait de ces espaces de vie par un aménagement du territoire intelligemment concerté. Or il s’agit là de tâches de planification qui débordent les prérogatives des différents acteurs impliqués.

Aujourd’hui, cette nécessaire évolution se heurte en effet aux barrières politiques justifiant le saupoudrage des compétences. Selon la Constitution, l’aménagement du territoire est actuellement du ressort des Cantons. Avec les Communes, ils sont donc responsables du développement urbain, tandis que la Confédération est en charge des infrastructures de transport nationales. Pour assumer ses tâches régaliennes, cette dernière dispose en outre de pouvoirs planificateurs surpassant les plans d’affectation. Mais des intérêts particuliers aux Communes, aux Cantons et à la Confédération ne cessent de s’opposer à la recherche de solutions conformes aux objectifs globaux. Dans ce contexte, la 2e révision de la LAT offre l’occasion de clarifier et de redistribuer les compétences, en y inscrivant des champs d’intervention d’importance nationale. Il faudra certes vérifier si cela implique également une modification de la Constitution, mais l’essentiel est que la Confédération – l’ARE – obtienne les compétences requises pour participer aux planifications des Cantons, des Villes et des Communes et puisse, le cas échéant, encadrer le processus d’aménagement.

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