S, M, L et XL

Propos recueillis par Aurélie Buisson

Rencontre avec l’architecte en charge du masterplan et de la coordination générale de la reconversion de l’entrepôt Macdonald à Paris.

Date de publication
03-04-2014
Revision
14-10-2015

Tracés: Dans la mesure où l’entrepôt Macdonald abritera plusieurs éléments hétérogènes à l’intérieur d’un même contenant, le projet de reconversion peut-il être intégré dans la théorie de Bigness développée par l’OMA? Le cas échéant, quels aspects du projet se rattachent à cette théorie?
Floris Alkemade: De par les dimensions hors normes de sa structure, l’entrepôt représente sans conteste cette autre espèce d’architecture décrite dans le manifeste de Bigness. Le caractère hétérogène des intérieurs est en phase avec la théorie: la Bigness ne permet plus à la façade de révéler ce qui se passe à l’intérieur.
Appliqué à la surface du projet de l’entrepôt, le manifeste illustre deux aspects intéressants. Primo, il démontre qu’à l’instar des dinosaures, on a affaire à une espèce en voie d’extinction. Trop pataude, lente, rigide et malaisée. Secundo, il suggère en même temps un potentiel de réorganisation du contexte social selon un programme infiniment plus riche. 
Dans nos études, nous avons testé et proposé de poursuivre l’échelle de l’entrepôt dans les parties ajoutées permettant l’intégration du programme requis. Ce second volume intitulé «Double Mac», a été simplement conçu comme un doublement de la substance existante. Si nous étions convaincus par la simplicité du dispositif, notre enthousiasme n’a pourtant rencontré aucun écho en dehors de notre agence. Comme déjà mentionné, l’existant est jugé trop pataud, lent, rigide et malaisé.
Nous avons donc développé une alternative où des adjonctions à une échelle normale mettraient en exergue le gigantisme du bâtiment. A la fois comme démonstration du Bigness face à ce qui n’en est pas, mais encore en guise de témoignage du changement de regard et des aspirations entre deux générations. 
Attestant le potentiel de renouvellement social, nous avons convenu que le second aspect était une piste plus appropriée aujourd’hui. Commerces, écoles, bureaux et logements : les demandes programmatiques incluent de fait une palette d’usages très diversifiée.
Sur un point toutefois, l’entrepôt semble échapper aux critères du manifeste. Par un étrange paradoxe, il s’avère en effet trop grand. La Bigness s’apprécie mieux dans un contexte qui rend justice à sa taille. En d’autres termes, vous devez pouvoir embrasser l’objet du regard pour en reconnaître l’envergure.
Vous pouvez apprécier la grandeur des pyramides d’Egypte en raison de la morphologie des plans inclinés qui découpe leur présence. Il en va de même pour un gratte-ciel qui se déploie au-dessus de vous. Les deux extrémités de l’entrepôt ne peuvent en revanche être vues simultanément. Cela procure l’expérience d’un bâtiment certes très, très long, mais elle ne s’accompagne pas nécessairement de l’impression imposante liée au Bigness en soi. 
On peut ainsi considérer que l’effet hallucinatoire dû à la répétition infinie de sa trame de façade abstraite caractérise davantage le bâtiment que tout autre concept lié à son envergure.

Considérez-vous que l’entrepôt Macdonald est un grand bâtiment ou plutôt une série de petits projets juxtaposés les uns à côté des autres? Complex building ou complex project
Notre ambition était d’éviter une normalisation du bâtiment existant. C’est la scansion de sa façade de béton qui lui confère son identité. Même si le passage du tramway coupe le bâtiment en deux, nous le reconnectons aux étages supérieurs en créant une grande fenêtre urbaine dans un ouvrage d’un seul tenant. 
Nous avons également veillé à une expression de façade cohérente sur toute la longueur du rez-de-chaussée.
La tâche s’est avérée ardue en raison des nombreux éléments différents imposés par les réglementations en vigueur. En reprenant les emprises et le rythme déjà marqués des noyaux existants, nous avons pu organiser les entrées des différents programmes. Entre-deux, nous avons développé une façade pliée en zigzag, à la fois simple dans sa modénature et puissamment apte à unifier les divers éléments du programme sur toute sa distance.
Les nouveaux volumes implantés sur l’existant incarnent l’autre échelle, plus modeste et plus complexe. Les deux strates devaient bien sûr répondre à toutes les prescriptions actuelles contenues dans le Plan local d’urbanisme et autres réglementations. Les projets exploitent le contraste entre les deux échelles: XL au niveau de l’ouvrage existant, S/L au-dessus. 

A la lecture du schéma directeur, on constate que le plan s’organise en une succession de tranches programmatiques: équipements publics, tertiaires, logements. Bien que ces programmes soient variés, ils ne se combinent pas entre eux. Cette répartition programmatique par strates horizontales peut se référer à celle d’une tour. Est-ce une volonté architecturale ou une contrainte imposée par les investisseurs?
Nous avons exploré diverses formules de mixité et nous avons découvert que les données du contexte environnant imposaient une certaine logique. Là où les voies de chemin de fer sont proches du bâtiment, il est difficile d’envisager du logement. Pour des bureaux et des écoles, dont l’emprise supérieure peut être déployée autour de patios intérieurs, cela pose moins de problèmes. 
De même, l’orchestration des vues vers Paris présupposait une part de raisonnement programmatique. 
Bien qu’extrêmement grand, le bâtiment en tant que tel n’est pas excessivement haut. Cette donnée a également des implications programmatiques. Mélanger des programmes dans un même volume oblige à doubler les noyaux de circulation. Dans la mesure où il s’agit du principal facteur de coûts, ce n’est donc possible que si l’on peut travailler sur un volume haut avec assez d’étages pour justifier les investissements supplémentaires. Comme ce n’est pas le cas dans notre projet, nous ne pouvions par exemple pas envisager des bâtiments mêlant bureaux et logements. 
Pour nous, l’essentiel est la vie de quartier que la mixité peut générer. Or, la richesse des échanges ne dépend pas nécessairement de la juxtaposition forcée de programmes dans un même volume. 

En dehors de la mixité programmatique imposée par le cahier des charges, avez-vous élaboré des stratégies pour favoriser la mixité sociale au cœur de ce projet? Il est d’ailleurs prévu que les jardins ne soient pas accessibles. Limiter l’accessibilité aux espaces partagés n’est-il pas un frein à la volonté de créer de la mixité et au développement d’une vie de quartier? Avez-vous eu le droit de réagir voire modifier certains éléments du cahier des charges initial?
Nous avons effectivement planché sur diverses stratégies pour favoriser la vie sociale et les interactions entre les habitants. Le jardin central est un élément de réponse important, mais il y a aussi plusieurs fenêtres urbaines, ménagées dans les volumes côté nord, qui offrent de généreuses terrasses avec des vues magnifiques. 
Ces lieux ont fait l’objet de nombreux débats, apparemment motivés par des attitudes culturelles divergentes entre Hollandais et Français. A nos yeux, il s’agissait d’espaces importants pour accueillir différents groupes, à des rythmes variables, pour divers usages et offrant des qualités distinctes toutes destinées à stimuler la détente et les échanges informels. Les investisseurs n’y ont vu qu’une source de problèmes et de frais d’entretien imprévus, liés aux incivilités dans des espaces difficiles à contrôler. On nous a dit qu’en France, personne n’en profiterait.
Incapables de comprendre ces réticences, nous avons au moins pu obtenir que les espaces en question soient rendus accessibles de sorte que, si un intérêt se manifeste tout de même avec le temps, leur usage soit alors possible.

Dans ce projet, mixité programmatique semble rimer avec diversité architecturale et hétérogénéité. Il y a pourtant d’autres projets complexes (De Rotterdam (OMA), West 57th (BIG)) qui présentent un caractère homogène et où il n’y a qu’un seul concepteur. Pensez-vous que la multiplication du nombre d’architectes est une spécificité de l’urbanisme français? Est-ce une réaction possible aux grands ensembles? 
La France traîne sans conteste un profond traumatisme lié à la grande échelle, en raison de l’héritage problématique laissé par les grands ensembles. Le phénomène est parfaitement compréhensible et on ne saurait le négliger. Dans notre projet, toutes les tentatives de consolider uniquement la grande échelle en doublant le volume ou en répartissant les programmes supplémentaires dans des bâtiments plus hauts ont été jugés indésirables quand ils n’étaient pas tout bonnement interdits. 
Il n’entrait ni dans notre rôle ni dans nos intentions de pousser le client à accepter la réintroduction d’un schéma qui pouvait aisément être perçu comme un grand ensemble, dans un environnement déjà difficile. La symbiose unique pouvant être obtenue en superposant des échelles et des attitudes complètement différentes est bien plus intéressante. La grande échelle de l’ouvrage existant sert de « socle » à une couche contemporaine qui s’inscrit parfaitement dans l’esprit du parti adopté par l’architecte Marcel Forest en 1968.
Ensemble, ces deux couches créent un nouvel équilibre qui met en évidence les qualités propres aux deux extrêmes. 

En quoi le projet diffère-t-il de celui de la ZAC Claude Bernard qui lui fait face où il y a également un investisseur, une mixité programmatique, une grande diversité architecturale et plusieurs concepteurs? Quelles sont les ressemblances / différences avec les projets de macro-lot?
Ce que nous apprécions peut-être le plus dans l’entrepôt, c’est son potentiel à faire réellement exception. Peu importe l’apparente banalité d’une trame simplement reproduite sur six cents mètres. Notre projet s’est nourri de ce désir d’être un exemple unique comme un héritage à préserver. Nous avons tenté de résister à toutes les volontés menaçant d’éroder la simplicité de l’architecture en place et elles n’ont pas manqué. Nous y avons même ajouté la façade pliée en rez-de-chaussée qui rehaussera encore son caractère.
Les niveaux supérieurs constitueront un nouvel horizon qui fractionne ce volume en ouvrant des fenêtres urbaines et en révélant une variété de styles et de matériaux. En dépit de cette fragmentation en hauteur, nous avons introduit quelques règles de masterplan également appelées à générer une cohérence sur tout le front: un système de strates alternant les couches projetées en avant et celles en retrait est appliqué à l’ensemble des dispositifs architecturaux. De cette manière, la morphologie spatiale du volume entier se réfère toujours à la grande échelle malgré sa désintégration. Pour renforcer encore cette lecture, nous y avons ajouté la subtilité suivante: la matérialisation des couches alternées doit aussi se conformer à l’alternance entre «minéral» et «cristal». Entre absorption et réflexion de la lumière (image).

L’image du projet qui est en train de se dessiner dans l’urbanisme parisien est-il toujours conforme au projet initial? S’agit-il d’un projet de reconversion ou plutôt d’une densification parcellaire intégrant les vestiges d’un passé révolu?
Il s’agit autant d’une reconversion que d’une densification, les deux principes n’étant nullement contradictoires dans ce cas précis. 
Lorsque nous nous sommes entretenus avec Patrick Forest, le fils du concepteur, lui-même associé à la création de l’entrepôt, nous lui avons demandé ce que lui et son père avaient en tête lorsqu’ils présentaient le bâtiment comme soubassement de constructions futures. Il a admis qu’ils imaginaient en priorité une extension de l’ouvrage dans sa fonction d’entrepôt, mais en espérant bien davantage. Ils se sont attachés à créer une structure suffisamment versatile et solide pour se prêter à modification, réécriture, réinterprétation et reprogrammation. Autrement dit, une entité presque non figurative qui aurait la capacité de devenir n’importe quoi d’autre.
Le projet développé aujourd’hui est dans le droit fil de cette ambition moderne, dont l’essence même était de bâtir la liberté telle qu’on la concevait dans la France de 1968. Il explore la liberté offerte par l’existant en aspirant à l’exceptionnel.

L’entrepôt Macdonald est-il plutôt: 1. Un seul bâtiment XL – complex building (cf. De Rotterdam (OMA), West 57th (BIG )) 2. Plusieurs bâtiments S/L = 1 projet XL (cf. Borneo-Sporenburg (West 8), le Silodam (MVRDV)) ou 3. Une ZAC / un macro-lot «à la française»?
Ni 1, ni 2, ni 3. Entrepôt Macdonald = Entrepôt Macdonald.

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