Re­lire les cri­tiques

Critique et architecture, un état des lieux contemporain

Comment faire la critique d’un projet d’architecture? À quoi doit-elle servir? Ces questions, nombre d’architectes et de critiques se les sont posées au cours du 20e siècle, en Europe et aux États-Unis. Sans prétendre définir la critique d’architecture ni en écrire l’histoire, Hélène Jannière, architecte et historienne de l’architecture, dresse un état des lieux très éclairant des discours et des théories qui se sont succédés et pointe «l’urgence et la nécessité» qu’il y aurait à s’engager dans une histoire de la critique d’architecture.

Date de publication
06-04-2020

Depuis les années 1980, le refrain de la «crise de la critique» tourne en boucle. Certains fustigent une critique molle, inféodée aux discours des starchitectes, qui ne serait plus que la chambre d’écho des politiques publiques de médiation de l’architecture (en France en tout cas). D’autres condamnent une « critique trop critique », susceptible de fragiliser la création architecturale et la profession. D’autres encore déplorent la faible part des architectes dans la production du discours critique, et s’interrogent sur la légitimité des non-architectes à la pratiquer. Dans tous les cas, rien ne va plus. La critique n’aurait plus ni le pouvoir d’agir sur la qualité de la production architecturale, ni celui de faciliter sa réception par le grand public. En cause, entre autres, le déclin des théories et des doctrines architecturales, l’avènement du néolibéralisme et la dilution de la critique dans la communication. 

Hélène Jannière montre que ces discours s’accompagnent, en miroir, de la nostalgie d’un âge d’or de la critique qui se situerait dans les années 1960-1970, dont la figure tutélaire serait l’architecte praticien, théoricien et engagé, éventuellement directeur de revue, à l’image de Vittorio Gregotti, Manfredo Tafuri ou Peter Eisenman. Revenant sur l’histoire récente, elle fait l’inventaire des différentes conceptions du rôle de la critique : accompagner des mouvements architecturaux ou les «inventer» –comme Kenneth Frampton et son régionalisme critique–, produire de la théorie pour alimenter la discipline, assumer une fonction politique et sociale, évaluer des édifices ou des situations urbaines pour faire progresser la qualité de la production architecturale, se faire l’intermédiaire entre la discipline et le grand public…

Retour aux fondamentaux 
En établissant cet état des lieux, Hélène Jannière nous invite aussi à lire ou à relire quelques textes fondateurs qui peuvent nous éclairer, nous rédacteurs d’une revue d’architecture et d’ingénierie, sur notre propre pratique, nos outils, nos biais et notre rôle dans le monde de la culture du bâti. Dans TRACÉS, nous choisissons de parler des situations urbaines, des bâtiments, des espaces publics qui nous apprennent quelque chose du monde dans lequel nous vivons. Nous (et les auteurs que nous sollicitons) les décrivons, les analysons, pour tenter de saisir les ressorts économiques, sociaux, esthétiques, environnementaux et constructifs qui ont présidé à leur conception et à leur réalisation. Et nous construisons ainsi un point de vue critique. Sans toujours y parvenir, mais en y aspirant. 

En ces temps incertains, prenons donc le temps de relire quelques textes importants, extraits de la riche bibliographie de l’ouvrage:

  • les « Sept vertus » (2003) d’Ulrich Conrads, sorte de profession de foi du bon critique, qui énonce les fondamentaux de la pratique : visite, description, recherche des antécédents de la mémoire du lieu, conscience du public auquel on s’adresse ; 
  • le classique de Jane Jacobs, Déclin et survie des grandes villes américaines (1961) ;
  • Writing about architecture (2012) d’Alexandra Lange, qui, s’essayant à construire des typologies de la critique, distingue différentes démarches : formelle (visite, description, analyse des bâtiments), phénoménologique, historique (situation du projet dans la carrière de l’architecte), militante (à la Jane Jacobs ou Michael Sorkin) ; 
  • le premier numéro de la revue Le Visiteur (1995), qui se donne pour projet de décrire des édifices et des situations urbaines, d’inclure le contexte de la commande et les exigences du programme, et de faire « l’expérience active du territoire » (éditorial de Sébastien Marot). On y trouve également trois textes fort utiles : « Un état critique » de François Chaslin, « Jusqu’où la critique doit-elle exacerber l’individualisme des architectes ? » de Jacques Lucan et « Les enjeux de la critique » de Bernard Huet.

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