Qua­torze ans de rè­gle­ments SIA

À la tête de la Commission centrale des règlements (ZO) de la SIA pendant 14 ans, Erich Offermann quitte son poste à l’occasion de l’Assemblée des délégués 2023. Entretien avec l’homme derrière la fonction.

Date de publication
10-05-2023
Laurindo Lietha
BSc FHO Civil Engineering / DAS Economie de la construction, spécialiste Règlements/Marchés

Derrière la vitre du Volkshaus, à Zurich, Erich Offermann et deux serveuses scrutent l’Helvetiaplatz, bouche bée. La neige tombe à gros flocons. Il est dix heures et demie en ce soir de fin mars, le personnel attend avec impatience de rentrer chez lui. Mais voilà qu’Erich Offermann sort un crayon à papier de la poche de son veston. Il se met à dessiner un diagramme sur la surnappe en papier. Les courbes illustrent le rapport entre les coûts et l’avancement d’un projet de construction. «Impossible de prendre des décisions sans disposer d’un investissement de départ», explique-t-il en poursuivant son dessin. Avec lui, il est si facile de se perdre en conjectures. Cinq minutes plus tard, nous quittons le restaurant. Erich Offermann me parle des aspects de protection du patrimoine dans la construction de centrales électriques. Une fois dans le tram, il enchaîne sur les photographies de Jakob Tuggener.

Son premier mot: grue

Erich Offermann est né en 1951. Il grandit à Riehen (BS) auprès d’une mère laborantine médicale et d’un père juriste qui se passionne pour les sciences naturelles, en particulier la minéralogie. Le premier mot d’Erich Offermann ? «Grue». Ponts et barrages l’enchantent. Pourtant, lorsqu’il doit choisir un métier, ses intérêts convergent vers un tout autre sujet. Au lieu d’étudier une fois sa maturité en poche, il préfère concevoir et construire des décors pour le théâtre de Bâle, à l’époque de Düggelin et Hollmann. Suivent au total 15 années en qualité de décorateur et de costumier pour différentes scènes germanophones. Des années truffées d’anecdotes qu’il aime à raconter, non sans dramaturgie.

Un look à la Joseph Beuys

À l’âge de 30 ans, Erich Offermann rêve, pour reprendre ses propres mots, d’une «vie bourgeoise». Il décide alors de suivre des études d’architecture à l’ETH de Zurich, une évidence, puisque «je savais planifier et dessiner». C’étaient les années 80. Il avait les cheveux longs et portait des pantalons de cuir ainsi qu’une veste de pêcheur. Les gens disaient de lui: «Regarde, on dirait Joseph Beuys en plus jeune». Il décroche son diplôme en un temps record et travaille rapidement pour des bureaux d’architecture de renom. Dès lors, il reste fidèle à son idée première d’être un architecte généraliste, d’intérioriser tous les aspects de la conception et de la construction pour trouver des solutions esthétiques simples et directes.

Penser circulaire et non linéaire

À l’approche du nouveau millénaire, Erich Offermann se met à son compte. Il travaille tout d’abord en tant que sous-traitant, mais les gros projets qui lui sont personnellement adressés ne se font pas attendre. Au milieu de l’année 2000, on lui demande d’intégrer une commission SIA. Ayant ressenti la réalité économique, il accepte, motivé, d’endosser ce rôle bénévole au service de la profession. Lorsque la SIA cherche à pourvoir la présidence de la ZO, il n’hésite pas une seconde. Sa candidature déposée, l’Assemblée des délégués de la SIA l’élit à l’unanimité. L’ère qui suit son élection, il la raconte ci-après avec ses propres mots.

Erich, quels sont les principaux développements qu’a connus la collection des règlements SIA ces 14 dernières années?
Tous les pans de la société ont pris conscience des enjeux de durabilité, et cette thématique a connu un développement fulgurant. Pour nous, la construction n’est pas un processus linéaire mais circulaire. Et c’est ainsi que nous entendons la durabilité. Il faut déjà, en phase de conception, tenir compte de la fin du cycle de vie d’un ouvrage. Transposer cette réflexion dans la logique des règlements et en favoriser la compréhension est une tâche qui m’a tenu et me tient à cœur. La révision de la loi fédérale sur les marchés publics (LMP) ainsi que l’accord intercantonal (AIMP) ont dynamisé ce processus. La révision du Règlement concernant la mise en concurrence pour le choix d’un prestataire SIA 144 en est la pierre angulaire. Celui-ci impose désormais une compétitivité hors prix axée sur la qualité, et ce pour les marchés classiques également. L’actuelle révision du Règlement des concours d’architecture et d’ingénierie SIA 142 ainsi que du Règlement des mandats d’études parallèles d’architecture et d’ingénierie SIA 143 est tout aussi essentielle. Ces textes complètent le catalogue de règlements SIA sur l’attribution de marchés, qui tient compte de la conformité légale et du développement durable. La création et la publication du Règlement concernant les prestations des maîtres d’ouvrage SIA 101, qui souligne la responsabilité des maîtres d’ouvrage en tant qu’instance décisionnelle, ont marqué une étape décisive. Il faut que le maître d’ouvrage assume ses responsabilités dans les domaines qui sont de son ressort pour aboutir sur du positif, surtout quand il est question de conditions-cadres.

Actuellement, à quels défis majeurs les règlements de la SIA et la future présidence du ZO doivent-ils s’attendre?
La SIA doit son positionnement remarquable dans la branche des études et de la construction en Suisse  qu’elle a assis au fil des décennies  à l’ensemble de ses commissions en charge des différentes normes et règlements, je tiens à le souligner. Les membres de ces commissions forment ensemble un pôle unique de compétences, d’expertise et d’expérience du terrain, qu’il convient de préserver et d’entretenir. Ce n’est qu’ainsi que la SIA pourra faire face, dans la pratique, aux exigences futures dans l’intérêt de toutes les parties prenantes.

Dans ce contexte, j’aimerais évoquer la révision des règlements concernant les prestations et les honoraires (RPH). Le problème ne se situe pas au niveau des prestations, que l’on peut aisément décrire avec précision. Il est plutôt question de savoir comment rémunérer les prestations d’études de façon «mesurée» et appropriée. Il convient donc d’examiner différents modèles. L’ancienne logique qui consistait à «construire plus pour gagner plus» ne correspond plus à la vision évoquée plus haut. Les prestations d’études sont des prestations intellectuelles. On ne devrait pas «pénaliser» les idées innovantes qui utilisent moins de ressources par une plus faible rémunération. Nous devons véhiculer le message suivant: une bonne conception représente le meilleur investissement possible pour faire des économies. De meilleures bases scientifiques sont donc incontournables dans ce domaine, mais aussi à d’autres niveaux. Je suis un fervent opposant au romantisme et à son caractère arbitraire.

Et à quoi vas-tu consacrer le temps dont tu bénéficies à présent?
Je continue d’une part à gérer une entreprise avec ma partenaire de bureau. Nous travaillons à de nombreux projets palpitants, et j’attends les prochains défis avec impatience. Par ailleurs, je reste président des commissions SIA 101 Règlement concernant les prestations des maîtres d’ouvrage et SIA 111 Modèle «Planification et conseil», avec toujours le même objectif: vulgariser les contenus complexes à l’intention des novices. De plus, j’aime simplement consacrer du temps à la réflexion et à la nouveauté.

Le dernier projet en date était la direction générale de la réhabilitation du Kongresshaus et de la Tonhalle de Zurich. J’aime me remémorer le moment magique où l’orchestre de la Tonhalle, sous la baguette de Paavo Järvi, a pris pour la première fois possession de la grande salle fraîchement rénovée. Dans son discours, l’intendante Ilona Schmiel a remercié les acousticiens et la direction générale. Ses mots «Offermann commence là où les autres jettent l’éponge» m’ont certes mis du baume au cœur, mais étaient aussi très à propos. Nous aimons les projets délicats et interdisciplinaires qui repoussent les limites. Ils nous permettent de collaborer avec les spécialistes les plus divers pour créer un tout harmonieux.

Un grand merci pour cet entretien, Erich. Une chose est sûre: «l’aventure continue».

 

 

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