Pru­dence et re­te­nue

Biennale d'Architecture 13 à Venice

Le 29 août 2012 a marqué l’ouverture officielle de l’exposition «Common Ground» placée sous la houlette de l’architecte britannique David Chipperfield, pour la 13e Biennale d’architecture de Venise. Eu égard à la liste des participants comme aux contenus présentés, la visite – de l’Arsenal en tous cas – réserve peu de surprises.

Date de publication
30-08-2012
Revision
19-08-2015

Quelques grandes déclarations creuses en préambule de l’événement ont pu instiller le doute. Paolo Baratta, directeur de la Biennale, évoquait pour la énième fois une architecture en mal d’identité et la nécessité d’en débattre pour la repenser. Quant au thème d’exposition, «Common Ground», il s’apparentait comme d’habitude à une vague antienne ne laissant guère présager de propos concrets. Mais David Chipperfield ne s’y est pas laissé prendre et a monté une exposition peut-être un rien trop conservatrice et prudente, mais sérieuse dans le meilleur sens du terme. Effets, son et lumière et raccourcis tape-à-l’œil en sont pratiquement absents, tandis que la modestie, le regard historique et la réflexion en profondeur s’érigent en valeurs dominantes. Si le ton de l’exposition est avant tout donné par les bureaux invités au pavillon principal des Giardini, la signature du commissaire est clairement lisible à l’Arsenal.

On relèvera notamment comment art et architecture semblent, cette année, trouver tout naturellement leur «common ground» sous forme de sujets partagés. A l’Arsenal, l’alignement des projets dans l’interminable bâtiment des Cordiere est régulièrement interrompu par des œuvres du photographe britannique Thomas Struth; ses vues urbaines figées et dénuées de toute existence humaine dégagent une beauté impénétrable qui arrête le regard. Dans un espace séparé, l’artiste italien Mario Nanni a monté une installation où le fin dosage de la lumière naturelle confère une radieuse et douce présence à un assemblage fait d’éléments architecturaux et d’objets du quotidien. Peter Märkli met ses propres travaux entre parenthèses pour associer des pièces du plasticien récemment disparu Hans Josephson à la «Femme de Venise VIII» d’Alberto Giacometti: la soigneuse mise en relation des différentes œuvres et des colonnes monumentales engendre une remarquable tension spatiale.

Valerio Olgiati a également renoncé à une présentation personnelle pour montrer une collection de références en architecture contemporaine. Même les architectes qui exposent leurs travaux le font avec distance et des moyens peu ostentatoires. Herzog & de Meuron retracent les tribulations de la Philharmonique de l’Elbe comme celles d’un ballon devenu le jouet des factions politiques. Quant aux auteurs réunis dans la «Ruta del Peregrino» – une entreprise carrément archaïsante dans ses dimensions et inspirations religieuses –, ils s’affichent en toute modestie (Ai Weiwei, Luis Aldrete Arquitetos, Tatiana Bilbao, Christ & Gantenbein, Dellekamp Arquitectos, Alejandro Aravena, Gogoylab, HHF Architekten, Rozana Montiel). Et lorsqu’il s’agit de montrer des utopies – telle la montagne projetée pour Berlin –, elles sont illustrées par des images sagement encadrées.

Partout décliné, le traitement de l’existant, du méconnu, du périssable est le sujet numéro un. A commencer par l’étude du Case Studio Vogt (EPF Zurich, dirigé par Günther Vogt), qui développe une analyse des terrains communaux vénitiens. Vittorio Magnago Lampugnani et Hans Kollhof se réfèrent au bâti traditionnel de la ville européenne. D’autres reconsidèrent cette tradition avec une ironie bienveillante et respectueuse. Cino Zucchi s’attache au phénomène de la ressemblance en exposant des vitrines pleines d’insectes, des collections de souvenirs architecturaux et autres maquettes, jusqu’à des portraits de visages humains. Sous l’égide des architectes britanniques FAT, le «Architectural Doppelgängers Research Cluster» présente un «Museum of Copying». Zaha Hadid elle-même complète les envolées de ses maquettes hors échelle flottant dans l’espace par de minutieux modèles en bois réalisés par le génial bâtisseur de coques Heinz Isler.

Cette retenue formelle et thématique est un bienfait pour la visiteuse ou le visiteur. L’exposition est en effet gigantesque: sur plus de 10'000 m2 le long d’un parcours reliant le pavillon principal des Giardini à l’Arsenal, elle réunit 69 propositions émanant de 119 représentants de l’architecture, de la photographie, des arts, de la critique et de la recherche au niveau international. Présenter une telle pléthore, en écartant le plus longtemps possible l’inévitable effet de saturation, est un art en soi. Ainsi le rassemblement d’images et de partis, d’études et de questionnements, d’œuvres et d’esquisses dégage cette année une certaine cohérence. Le calme délibérément appliqué à la mise en scène favorise la concentration sur le propos architectural et le contenu artistique – qui suffisent à mobiliser l’inspiration. Le résultat démontre une fois de plus que la confrontation approfondie des enjeux fondamentaux de l’architecture débouche finalement sur davantage d’éclairages sociaux, historiques ou économiques que de vains discours sur des tendances supposées nouvelles.

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