Pro­jet de la ca­verne des ma­chines

La caverne des machines, qui accueillera les turbines du complexe de pompage-turbinage de Nant de Drance, figure parmi les plus grandes du monde. Avec ses 32 m de portée, 52 m de haut et 194 m de long, elle dépasse allégrement les dimensions intérieures de la cathédrale Notre-Dame de Paris. Les transformateurs prennent place dans une caverne parallèle, longue de 130 m pour une portée de 19 m et une hauteur de 15 m. Leurs dimensions et leur implantation à 600 m de profondeur en font un projet hors du commun

Date de publication
16-09-2015
Revision
22-10-2015

Les deux cavernes sont implantées dans des roches métamorphiques d’origine sédimentaire, appartenant au socle cristallin du massif des Aiguilles Rouges. Les lithologies rencontrées possèdent globalement des bonnes caractéristiques. Il s’agit de paragneiss, micaschistes et métagrauwackes (schistes riches en chlorite), alternant en proportions variables suivant les sondages. Ces roches sont saines, dures, laminées et litées.

Situation géologique


La schistosité présente un pendage moyen de 70 à 80°, selon un azimut proche de la perpendiculaire par rapport à l’axe des cavernes. Cette schistosité n’a pratiquement pas d’influence sur la stabilité du massif, qui est dans l’ensemble bonne à très bonne.

Le massif est parcouru par un réseau de discontinuités, très redressées pour la plupart. L’état de fracturation est faible, même si l’on rencontre quelques zones tectonisées caractérisées par la présence de kakirites en faible épaisseur. La plupart des fractures sont fermées par recristallisation de quartz, épidote ou calcite. De fins niveaux graphiteux, parallèles à la foliation, sont parfois observés : ils peuvent altérer la tenue du massif rocheux en facilitant le glissement de blocs sur leurs surfaces.

Six familles de discontinuités ont été identifiées. Hormis la schistosité, elles ne sont que peu persistantes. Leurs plans sont assez lisses mais ondulés (longueur d’onde métrique à plurimétrique), ce qui garantit une imbrication relativement bonne.

Le Geological Strength Index estimé pendant l’excavation variait entre 70 et 90. Cette roche de bonne qualité intrinsèque présente néanmoins un comportement mécanique anisotrope suite à sa foliation (photo).

Sondages


Trois sondages profonds ont été réalisés en 2007 dans le cadre du projet d’ouvrage. Deux sondages supplémentaires ont été effectués en 2010 depuis une niche latérale pendant l’excavation de la galerie d’accès descendante. Les informations recueillies grâce à ces reconnaissances complémentaires ont confirmé l’implantation hors zone de faille des cavernes. Du fait de l’orientation subverticale de la lithologie, l’analyse des relevés des fronts des deux galeries d’accès surplombant la caverne a permis d’avoir une évaluation réaliste et statistiquement significative des discontinuités, conduisant à une première optimisation du projet de soutènement.

L’état de contrainte in situ a été déterminé au moyen d’essais de fracturation hydraulique réalisés dans trois forages. La contrainte horizontale majeure vaut 1,1 fois la contrainte verticale et la contrainte horizontale mineure les deux tiers de celle-ci. L’azimut de la contrainte majeure forme un angle de 60° avec l’axe principal de la caverne des machines. Il apparaît que l’état de contrainte horizontale est déterminé majoritairement par la topographie.

Peu de venues d’eau ont été relevées. Les débits d’irruption étaient faibles et n’ont jamais dépassé 0,1 l/s pour un débit de drainage total de 0,6 l/s. 

Modélisation


Le massif encaissant présentant une anisotropie de résistance, le comportement du rocher à l’excavation est déterminé en grande partie par la résistance au cisaillement des plans de discontinuité. Une analyse préliminaire basée sur les méthodes semi-empiriques de classification montre que le massif peut être considéré comme fortement sollicité et fortement fracturé, compte tenu des dimensions relatives de l’excavation et de l’espacement des discontinuités. Le dimensionnement de la structure de soutènement requérait donc l’établissement d’un modèle élaboré de comportement du rocher et de l’interaction sol-structure.

La modélisation comprend le massif encaissant, les galeries d’accès, le corps de la caverne et les éléments du soutènement, en interaction les uns avec les autres. Les lois constitutives pour le comportement du massif ont été définies conformément aux normes SIA 197 Projets des tunnels - Tunnels routiers et SIA 267 Géotechnique.

Le processus de dimensionnement comprenait les étapes suivantes : Détermination des scénarios de risque et des états limites associés (lire encadré ci-dessous) ; Analyse à court et long terme de la stabilité globale de l’excavation (modèle global) ; Analyse des instabilités de blocs (modèle local) ; Dimensionnement des éléments du soutènement et du revêtement.

Les caractéristiques du rocher ont été déterminées à partir d’essais de laboratoire sur des échantillons prélevés dans le secteur de la caverne traversé par les sondages. Une centaine d’essais de mécanique des roches (compression uniaxiale et triaxiale, traction indirecte, cisaillement direct) ont permis de constituer une base statistiquement significative. Les essais ont confirmé le caractère anisotrope de la résistance et de la déformabilité du rocher, les minima étant liés aux ruptures le long des plans de schistosité (schéma).

De ce fait, un modèle multilaminaire a été retenu pour caractériser le comportement du massif, avec une loi de rupture type Hoek-Brown dans la matrice rocheuse et un critère de Mohr-Coulomb pour les discontinuités. Les valeurs caractéristiques Xk des grandeurs géotechniques ont été déterminées pour que la probabilité d’une valeur plus défavorable soit inférieure à 5 %.

Les paramètres du critère de rupture de Hoek-Brown ont été calés sur la courbe enveloppe des résultats d’essais et non déterminés sur la base de considérations empiriques. Les paramètres du critère de Mohr-Coulomb ont été définis sur la base des essais de cisaillement direct. Ces valeurs ont ensuite été réduites par des facteurs partiels pour prendre en considération les éventuelles variations défavorables des paramètres par rapport aux valeurs caractéristiques (schémas).

Il a été considéré comme valeur caractéristique pour le module E la valeur moyenne tirée des essais de compression simple, réduite d’un facteur 1,5 pour tenir compte de l’effet d’échelle, soit 17 GPa. Cette valeur correspond par ailleurs à la valeur moyenne du module mesuré dans les 20 essais au dilatomètre réalisés en sondage. La prise en compte d’une valeur moyenne est représentative du comportement du massif rocheux à l’état-limite ultime, puisque c’est l’ensemble du volume environnant les cavernes qui est impliqué dans les déformations. 

Analyse structurelle


L’évaluation des risques a conduit à retenir deux scénarios déterminants pour l’analyse structurelle :

Instabilité de blocs ; Déformations suite au développement de zones plastiques dans le massif en périphérie de l’excavation (« poussée » du rocher). 

Deux analyses différentes ont donc été réalisées. Les calculs avaient pour but d’assurer que les états-limites ultimes de la sécurité structurale n’étaient pas atteints pour les scénarios critiques. La capacité porteuse et le comportement du soutènement et du revêtement ont été évalués selon deux méthodes : un modèle de milieu continu et un modèle d’éléments disloqués.

Le premier a été utilisé pour établir la stabilité globale de l’excavation, les déformations d’ensemble (tenant compte des différents ouvrages souterrains, de leurs étapes partielles d’excavation et de leurs interactions réciproques) et le développement de la plasticité dans le massif, ainsi que le comportement à long terme du revêtement. Le second a été utilisé pour déterminer la stabilité locale des potentiels blocs instables.

Des calculs éléments finis 3D ont été réalisés pour définir les fonctions de déconfinement utilisées dans les modèles 2D, afin de prendre en considération l’effet spatial du relâchement des contraintes lors des excavations partielles (schémas). Ils ont aussi servi au dimensionnement des intersections entre ouvrages, ainsi que pour la longrine suspendue de support provisoire de la voûte.

Les calculs 2D ont servi à optimiser le soutènement (en particulier le maillage des ancrages) et à dimensionner le béton armé du revêtement définitif (prise en compte du retrait, du fluage et de la fissuration progressive du béton). Lors de l’avant-projet, le soutènement de la caverne comportait des ancrages à câble précontraints (maille 6 m par 6 m), des boulons scellés au mortier (maille 1,5 m par 1,5 m) et du béton projeté armé de fibres et de treillis soudés. Les calculs réalisés pour le projet d’exécution ont permis de supprimer les ancrages précontraints. Il a également été possible de raccourcir les boulons scellés au mortier.

Le revêtement définitif est constitué de béton armé épais de 60 cm. La voûte a été bétonnée après excavation de la calotte, avant l’approfondissement, pour limiter la hauteur d’étayage du coffrage. En effet, la hauteur entre la dalle du hall et la voûte au stade final est supérieure à 25 m. La voûte est donc suspendue pour une durée de quatre ans à l’aide d’ancrages précontraints de 2670 kN de charge ultime (une pièce par mètre linéaire de chaque côté), jusqu’à ce que la structure définitive des murs de parement, construite de bas en haut, ferme l’anneau. La voûte suspendue doit également supporter le poids des deux ponts roulants de chantier de 15 tonnes de charge utile.

De l’utilité des reconnaissances et études


Grâce à une campagne de reconnaissance extensive, l’auteur du projet a acquis une bonne compréhension des caractéristiques géomécaniques du massif rocheux et a pu développer un modèle adapté et précis de l’interaction sol-structure. Les calculs réalisés ont conduit à la définition d’un soutènement approprié, qui a pu être optimisé en cours de travaux grâce aux observations faites sur l’ouvrage. Les résultats des rétro-analyses ont montré la bonne représentation de la réalité par les modèles adoptés.

Ce projet démontre que les investissements consentis par le maître d’ouvrage pour les reconnaissances géologiques, essais de mécaniques des roches et prestations d’ingénieur ont été plusieurs fois compensés par les économies réalisées sur les structures porteuses. Les hypothèses faites ayant été pleinement vérifiées pendant les travaux, aucune modification de projet n’a été nécessaire. Il a même été possible d’accélérer les travaux en autorisant l’ouverture simultanée de deux étapes de stross.

Etienne Garin et Nima Nilipour, ing. EPFL génie civil, BG Ingénieurs Conseils SA, Lausanne

 

 

Situations de risques

Chutes de blocs: la chute de blocs représente le principal risque qui doit être prévenu par le soutènement mis en place. Leur chute survient par gravité après destruction de la résistance de pointe existant sur la surface du joint. Ce phénomène se développe en particulier à la suite de déformations plastiques, avec le développement de la décompression et l’ouverture des fractures. La présence de joints graphiteux augmente le risque.
Effondrement en zone de faille: l’implantation des cavernes a été faite de manière à ne pas rencontrer de zone de faille. La structure de soutènement a néanmoins été conçue pour pouvoir être renforcée en cas de présence inattendue d’un tronçon de roche tectonisée ou de passées de cataclasites.
Ecaillages et décompressions violentes (Bergschlag): considérant l’excavation à l’explosif et la schistosité marquée de la roche, le risque de décompressions violentes a été évalué comme faible à la profondeur de 600 m. Cette prédiction a été vérifiée. Des écaillages progressifs suite à la décompression ont néanmoins été observés sur les surfaces favorisant ce phénomène (tympans).
Venues d’eau: compte tenu de la faible perméabilité en grand du massif, de la position en profondeur des cavernes et des observations dans les sondages de reconnaissance, le risque de venues d’eau importantes a été considéré comme improbable.
Déformations plastiques: les résultats des reconnaissances ont permis d’exclure le risque de formation de vastes zones plastiques s’étendant en profondeur.

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