Le tré­sor de la sa­pience

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Le Silo se penche ici sur un film réalisé en 2014 par Eugène Green. Son personnage principal, un architecte en plein doute professionnel et personnel, part sur les traces de l'architecte baroque tessinois Borromini, en quête de lumière

Date de publication
08-04-2015
Revision
25-10-2015

Cinéaste de la parole et héritier de Robert Bresson, Eugène Green aime parfois citer un passage de l’Evangile selon saint Jean : « Au commencement était le Verbe. Tout fut par lui, et sans lui rien ne fut. Et la lumière luit dans les ténèbres. » Film du verbe fait image, La Sapienza semble répondre aux élocutions de l’Evangéliste, conduisant quatre personnages dans un voyage initiatique en quête de lumière. 

Alexandre est un architecte célèbre mais désenchanté et Alienor, sa femme, une psychologue essayant de comprendre le mal-être des populations. Partis sur les traces de Francesco Borromini (sur lequel Alexandre espère, enfin, pouvoir écrire un ouvrage), ils croisent, sur les rives du lac Majeur, Goffredo et Lavinia, frère et sœur, lui jeune homme rayonnant, épris d’architecture, elle jeune fille mélancolique, encline à des langueurs d’un autre siècle. 

Si le voyage d’Alexandre le conduira à Rome en compagnie de Goffredo, Alienor restera avec Lavinia : les quatre personnages se retrouveront à la fin de leurs pérégrinations respectives, après s’être libérés de leurs fantômes et avoir trouvé la sapience, ce savoir qui conduit à la sagesse. Un passage tiré cette fois de l’Ancien Testament (« Livre de la Sapience ») est cité en épigraphe du film : « La sapience est plus active que toute action, car c’est un reflet de la lumière éternelle. »

Si La Sapienza est un film exceptionnel, sortant de l’ordinaire à tous les égards, il constitue aussi une méditation sur l’architecture et l’art de la mise en scène (sinon sur l’architecture comme art de la mise en scène). Grand spécialiste et amoureux du baroque – Eugène Green mène, depuis les années 1970, un important travail de recherche sur différents aspects de la théâtralité baroque, notamment dans le cadre de sa compagnie dramatique, le Théâtre de la Sapience –, le cinéaste nous propose, en toute subtilité, une leçon magistrale sur la sagesse de l’architecture baroque. Il s’agit, avant tout, d’une architecture qui assure la joie des hommes, capable de figer le mouvement dans des formes de pierre que la caméra de Green sait épouser dans un classicisme épuré et sans fioritures. Une architecture qui sait, surtout, travailler et créer de la lumière : cette même lumière qui joue un rôle essentiel dans les œuvres du très honorable Francesco Borromini, fantôme lumineux parmi des fantômes plus sombres. 

Cette même lumière qui manque cruellement à Alexandre et à certains de ses projets – comme cet hôpital à São Paulo, conçu sans fenêtres « pour permettre un rigoureux contrôle scientifique de la condition des malades », mais dont le résultat principal aurait été de « les habituer à l’absence de lumière dans leur cercueil ». C’est dans la chapelle de Sant’Ivo alla Sapienza qu’Alexandre, accompagné de son ange gardien Goffredo, acquiert finalement la conscience qui manqua encore à sa science aveugle, condamnée jusque-là à errer dans les ténèbres de l’arrogance et du matérialisme contemporains : l’architecture doit immanquablement mener vers la lumière.

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