Prendre ra­cine

Une architecture du collectif: pour Federico Tranfa, la ­restauration-extention de l’école de Nosedo par Durisch + Nolli avec Giraudi Radczuweit va bien au-delà de l’enveloppe, elle tisse une relation avec son environnement. En proposant de nouvelles circulations et des espaces publics accessibles, c’est toute la commune de Massagno qui est traitée dans ce projet.

Date de publication
02-10-2020

La signification de public realm, employé dans la langue anglaise et que nous traduisons par espace public, dépasse les limites de sa traduction littérale. Et pourtant, bien que notre sensibilité ne soit pas comparable à celle des pays nordiques, notre culture architecturale partage désormais l’hypothèse que la conception d’un bâtiment ne s’arrête pas à la définition de son enveloppe mais inclut toutes les surfaces qui établissent une relation avec son environnement. Ce changement significatif de mentalité a coïncidé avec une évolution des modes et des moments d’utilisation des installations scolaires, que nous considérons désormais comme des ressources précieuses pour la vie des communautés, et pas seulement comme des espaces monofonctionnels. À Massagno, l’opportunité née du concours pour la rénovation de l’école a permis aux concepteurs d’approfondir ce thème, en le combinant avec celui, tout aussi actuel, de la sauvegarde du patrimoine architectural moderne.
Depuis la réalisation du bâtiment dans les années 1970, l’évolution des modes de vie a influencé l’utilisation des équipements publics, dont les limites semblent aujourd’hui de moins en moins rigides. Il en va de même pour les espaces ouverts, qui se sont étendus au point d’inclure dans la définition ce qui n’est pas strictement lié aux fonctions primaires. Dans son Manifeste du Tiers paysage, Gilles Clément utilise la métaphore du jardin pour décrire notre planète. Clément identifie et baptise les espaces résiduels du «tiers paysage», qui, dans les zones urbaines, correspondent entre autres à des terrains en attente d’une destination ou de l’exécution de projets. Cette théorie s’étend à tous les espaces interstitiels et frontaliers, dont le potentiel latent peut enrichir un projet capable de les reconnaître et de les exploiter.
Le fonctionnalisme moderne nous avait habitués à l’idée que les bâtiments étaient, en accord avec le monde des machines, une combinaison efficace d’espaces spécialisés, chacun d’entre eux étant soigneusement dimensionné. À cet héritage, qui demeure dans les normes et les réglementations, nous ajoutons maintenant une approche plus empirique et instinctive. La nouvelle école primaire de Massagno, dans son articulation complexe, avant même d’être un lieu d’apprentissage et de loisirs, sert le quartier en s’adaptant à l’orographie de la colline, offrant aux enfants et aux adultes des terrasses d’où ils peuvent observer le paysage, des toits sous lesquels s’abriter de la pluie, des escaliers, des passages et de nouveaux jardins surprenants. C’est comme si l’édifice, en grandissant et en changeant de forme, avait étendu ses racines dans différentes directions, en se renforçant. Le réseau de chemins qui l’entoure permet à l’école d’être utilisée comme un système de rampes et de plateformes en continuité avec la circulation piétonne du quartier. Un programme fonctionnel qui a permis d’adapter parfaitement le projet au tissu urbain et dont l’efficacité a été implicitement plébiscitée par la communauté de Massagno.
En analysant le processus d’adaptation fonctionnelle du corps de l’école, on peut voir en filigrane la mutation subtile qui s’est produite dans la transition entre le système préexistant et celui d’aujourd’hui. Ce qui aurait pu causer des regrets (l’augmentation de la superficie couverte malgré la végétation) s’est avéré être la meilleure stratégie pour permettre au bâtiment de s’adapter aux nouveaux besoins éducatifs, sans perdre de son caractère et de sa cohérence. Parfois, conserver ne signifie pas figer un artefact dans le temps, mais plutôt capturer son essence et le partager vers un temps futur, d’autant plus si la qualité de ce dont nous héritons est incontestable et son potentiel évolutif encore important. L’addition des espaces donnés au domaine public et des nouvelles fonctions didactiques et récréatives a ramené l’école au centre de la communauté, justifiant l’effort soutenu pour construire le nouveau gymnase double et la cantine. Cette partie du bâtiment, née de la nécessité de remplacer le volume techniquement obsolète qui contenait l’ancien gymnase et une piscine intérieure, se distingue clairement du corps des salles de classe par l’expressivité de la structure et l’autonomie de la forme. Sa nature de pavillon isolé a permis aux architectes d’exagérer la relation entre le concept structurel et le volume architectural. En raison de la superposition de ces deux éléments, le complexe sportif est articulé de manière à utiliser le toit du gymnase comme une terrasse de cantine, dont la fonction est également de produire des repas pour le foyer de personnes âgées voisin, tout en étant utilisé comme une unité indépendante. En atteignant la limite du parking adjacent à la tête du gymnase double, une nouvelle relation entre l’école et la rue derrière l’église est créée.

Une architecture du collectif

La densité plus élevée du bâtiment, compensée fonctionnellement par le jardin en toiture, a l’avantage de ramener les différents espaces à une logique d’utilisation commune. L’école devient ainsi partie intégrante du quartier, de son paysage architectural, cessant d’être un objet détaché de son environnement. De la juxtaposition entre le corps des salles de classe et le nouveau gymnase découle une comparaison rythmique intéressante. Les deux parties du bâtiment, qui partagent l’utilisation du béton apparent, mettent en évidence, à travers l’étape structurelle, l’échelle différente des fonctions internes et l’intensité du mouvement à l’intérieur de celles-ci. Alors que les cadres de fenêtres en saillie ordonnent et séparent les espaces derrière les salles de classe, les grandes arches du gymnase protègent un diaphragme vitré continu, reflétant la plus grande surface et la fluidité des fonctions récréatives. Le thème de la transparence est abordé par le projet de manière cohérente avec ses différentes implications fonctionnelles. Chaque niveau du bâtiment établit une relation différente avec l’espace extérieur et le sol environnant. Grâce à une plus grande transparence, de nouvelles potentialités du bâtiment préexistant sont créées, enrichissant de sens le concept de réutilisation. La nécessité de modifier la structure en béton du corps des salles de classe, d’accueillir de nouvelles fonctions ou de repositionner certaines des fonctions existantes, a été résolue en harmonie avec le traitement des surfaces de béton exposées, l’élaboration d’un code de couleur et une nouvelle signalisation. Tous ces détails ont radicalement changé l’atmosphère des salles, rendue plus douce et plus accueillante par la plus grande intensité de la lumière naturelle et l’adaptation de l’artificielle. L’observation de la relation entre l’ombre et la lumière est l’une des façons les plus simples de lire la conception des espaces de service et du nouveau gymnase double. Au rez-de-chaussée, la distance existante entre le noyau et le périmètre forme une sorte de portique, offrant une protection contre le soleil et la pluie. La même stratégie est reproduite au niveau de la terrasse dans le volume sculptural qui abrite la cantine, un élément clé de la composition car au niveau de la Via Battista Foletti, il a la tâche d’établir un rapport d’échelle avec le quartier.
Selon l’architecte brésilien Paulo Mendes da Rocha, il n’existe pas d’espaces véritablement privés car la vie humaine est une vie sociale, faite de relations, et les relations nous ramènent à la dimension collective. La vie scolaire est par définition collective, mais dans un projet bien résolu, l’individu trouvera aussi une dimension individuelle, une alchimie qui ne peut se produire en l’absence de qualité architecturale. Dans les écoles, la relation entre l’espace public et privé est également enrichie par une forte valeur pédagogique, car il ne fait aucun doute que les qualités physiques d’un environnement ont une influence sur la formation de la personnalité. Indépendamment de son contenu programmatique, une architecture destinée à l’éducation sera vécue par ses utilisateurs d’une manière tout aussi émotionnelle qu’un espace domestique.
Le projet de l’école primaire de Massagno est donc un palimpseste dans lequel différents codes coexistent, harmonisés dans un nouveau discours. Une synthèse heureuse, opérée au profit du quartier et de la ville.

Federico Tranfa est architecte et rédacteur pour la revue Casabella.
Ce texte a été publié en italien sous le titre « Mettere radici », in Tra beton et butelle – Le scuole Nosedo a Massagno, édité par Stefano Milan et Graziella Zannone, Mendrisio: tarmac publishing, 2017.

Traducion: TRACÉS

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