Pour­quoi l’énoncé des be­soins est es­sen­tiel dans la pla­ni­fi­ca­tion de pro­jets

Bien souvent, les mandats sont mis sur les rails en passant directement à l’étape de l’avant-projet, sans clarification suffisante des exigences posées aux projets. Pour les concepteur·rices, cette situation peut se traduire par un surplus de travail fréquemment non rémunéré, puisqu’il leur incombe alors de déterminer les besoins à la place du maître de l’ouvrage.

Date de publication
28-11-2023

À sa parution en 2020, le Règlement concernant les prestations du maître de l’ouvrage SIA 101 avait soulevé des questions, tant du côté des concepteurs que des maîtres d’ouvrage. Pourquoi une association professionnelle représentant des mandataires publierait-elle un règlement destiné aux mandants? Pour faire court : la réussite d’un projet dépend largement d’une formulation claire des besoins, du ressort du mandant. Et qui aujourd’hui relève plus de l’exception que de la norme, comme nombre de concepteurs pourront en attester… Au regard de ce constat, la principale nouveauté introduite par le règlement SIA 101, soit la phase 0 dite d’initialisation, prend tout son sens. En effet, elle invite le mandant à se projeter et à mettre sa vision sur le papier.

À vos marques…

Retour sur une discussion qui a eu lieu au sein de la commission SIA 101, à l’origine de cet article. L’un de ses membres avait comparé la situation actuelle à une course de ski: de l’extérieur, la course commence au bip de départ — soit à la phase 3 d’avant-projet. Or, avant même que les premiers skieurs ne s’élancent sur la piste, tout un travail d’organisation doit être réalisé en amont. Choisir un site, définir le tracé de la course, préparer la piste, etc. — une étape qui métaphoriquement correspond à l’énoncé des besoins et à la définition du projet selon les phases 1 et 2 du modèle SIA. Il ne viendrait à l’esprit d’aucun organisateur d’événements sportifs de faire l’impasse sur ces préparatifs. En revanche, les projets lancés sans être préalablement définis avec soin sont légion. L’une des hypothèses avancées pour expliquer ce phénomène tient au fait que les prestations des phases 1 et 2 décrites dans les règlements concernant les prestations et les honoraires (RPH) de la SIA sont classées parmi les «prestations à convenir spécifiquement». De ce fait, elles sont considérées à tort comme étant facultatives et sacrifiées pour des raisons économiques. Pour y remédier, il est recommandé aux mandataires d’attirer l’attention de leur mandant sur les RPH qui catégorisent, sans équivoque possible, l’énoncé des besoins (phase 1) et la définition du projet (phase 2) comme appartenant aux prestations et décisions incombant aux mandants. Cela étant, rien n’empêche ces derniers de faire appel à un mandataire pour élaborer ces documents conjointement ou se faire épauler — une assistance qui naturellement doit être contractualisée. Le règlement SIA 101 constitue un complément utile puisqu’il éclaire les responsabilités et opportunités qui vont de pair avec les prestations et décisions du mandant — lesquelles ne sont abordées que superficiellement dans les RPH. Les exigences de projet ne pouvant être définies à un stade précoce ou pouvant l’être uniquement au cours du processus de conception doivent être déclarées comme étant en suspens. Il faut cependant que mandant et mandataire indiquent quand et comment celles-ci seront fixées contractuellement.

Baliser le terrain

Voilà pour la théorie. Mais que peuvent faire les concepteurs s’ils veulent se lancer sur une piste bien préparée ? Prenons l’exemple du bureau d’architecture Fischer Architekten, certifié ISO 9001 – un label de gestion de la qualité supposant que l’entreprise ait décrit ses processus opérationnels. Christian Leuner, qui a été à la tête du bureau pendant presque deux décennies et représente les mandataires au sein de la commission SIA 101, confirme que l’étape de la définition de projet — et donc le cahier des charges y afférent — est souvent éludée pour passer directement à la phase de l’avant-projet. Dans le cadre d’un concours, le programme s’assimile à la définition de projet, mais en l’absence d’une telle base, par exemple pour les mandats directs, le risque est de voir le budget épuisé avant même l’avant-projet — ou la phase 2 est implicitement réalisée dans la phase 3, mais sans la rémunération qui va avec… Chez Fischer Architekten, il est donc d’usage, pour presque chaque mandat, de procéder à une étude de faisabilité (phase partielle 21) qui fait partie intégrante du processus de conception afin de «préparer la piste». Ainsi, lorsqu’un maître d’ouvrage leur soumet une idée de projet et souhaite obtenir une offre, Fischer Architekten ajoute systématiquement une étude de faisabilité au devis. Le fait de préciser ainsi les contours du projet à un stade précoce permet aux deux parties de mettre toutes les chances de leur côté. En amenant des niveaux de détail élevés à des phases précoces, les méthodes de conception numériques entraînent une compression des phases, ce qui, selon Christian Leuner, grignote le budget pour le développement du projet en tant que tel ou la clarification du mandat. Et pourtant, la phase partielle 21 pose des bases déterminantes pour la réussite du projet, rappelle-t-il.

Identifier la problématique

Ce qui s’applique aux projets de construction réalisés selon le modèle par phases SIA 112 «Étude et conduite de projet» vaut également pour les prestations de planification structurées selon le modèle «Planification et conseil» SIA 111.

Dunja Kovári, copropriétaire du bureau d’études et d’urbanisme sa_partners souligne qu’une définition précise du mandat est essentielle. Or c’est malheureusement loin d’être toujours le cas. Les mandants sautent cette étape et s’attendent à se voir soumettre des « offres » qui sont en fait une description complète du processus de planification. Résultat des courses, ils obtiennent gratuitement tout un éventail de solutions puisque plusieurs soumissionnaires sont généralement invités. Celles-ci couvrent la plus grosse partie de la tâche, étant donné que la planification est normalement achevée à l’issue des phases 1 et 2. Le fait que les mandants n’assument pas ces tâches se solde donc au détriment des mandataires — un constat qui a amené Dunja Kovari à rejoindre la commission SIA 111.

Également membre de la commission SIA 111, Angelus Eisinger, historien de l’art spécialisé en architecture et urbanisme et directeur de l’association faîtière de planification territoriale du regroupement de communes de la région zurichoise (RZU), abonde en son sens. Selon lui, le défi de la planification réside dans le fait de devoir chercher des réponses à un problème qui n’est pas encore clairement formulé. En bref, avant même de penser résoudre un problème, encore faut-il l’identifier. Le hic selon Dunja Kovári: ceci requiert des connaissances techniques dont peu de mandants disposent. De plus, ils sont rarement conscients des exigences changeantes qui s’imposent à eux. Or lorsqu’on aborde des enjeux complexes tels que la gestion de la chaleur dans la ville, les conséquences d’une approche qui ne prend pas en compte tous les facteurs entrant en jeu peuvent s’avérer désastreuses. Prenons l’exemple d’une commune qui, souhaitant agir contre la chaleur, avait lancé un concours en vue du réaménagement d’un quai pourtant rénové à grands frais peu avant. Il s’est toutefois avéré que le fleuve emmagasine tellement de chaleur que les effets d’une telle transformation auraient en fait été insignifiants…

Réfléchir avant d’agir

«Are you really sure that you need a building?»: la question que le célèbre architecte britannique Cedric Price posait à ses maîtres de l’ouvrage pourrait passer pour une provocation de star, mais il n’en est rien. Confronter ainsi ses mandants à des questions fondamentales témoigne au contraire d’un courage nécessaire. C’est lorsque les choses sont ainsi mises sur la table que les mandants peuvent être sensibilisés à l’identification de la problématique afin qu’ils puissent, comme le préconise le règlement SIA 101, formuler leur vision le plus clairement possible.

Nouvelles lignes directrices SIA 4011 sur la définition de projet
Dans le cadre de l’actuelle révision des règlements concernant les prestations et les honoraires (RPH), un groupe de travail interdisciplinaire s’est penché sur la définition de projet et les documents afférents (cahier des charges de projet, conventions d’utilisation) afin de déterminer si une mise à jour est nécessaire. Il est venu à la conclusion que les RPH, dans leur forme actuelle, contiennent déjà toutes les informations requises pour les partenaires contractuels. En raison du caractère crucial que revêt le sujet, il a néanmoins été décidé que des lignes directrices consacrées à la définition de projet seront élaborées en complément des RPH. D’ici à leur publication fin 2024, il est recommandé de consulter les RPH et, au besoin, le Règlement concernant les prestations des maîtres d’ouvrage SIA 101 afin de garantir que les prestations et décisions du mandant sont bien exécutées lors de ces phases décisives pour la réussite du projet.

Terminologie de la SIA 112
La définition du projet produite par le mandant décrit les principaux objectifs, fonctions et conditions cadres du projet. Elle reste inchangée durant tout le processus de conception et de réalisation.

 

Le cahier des charges du projet décrit les fonctions et caractéristiques que doit présenter l’ouvrage pour répondre aux objectifs énoncés dans la définition du projet, ainsi que l’organisation et le déroulement du projet. Il est établi durant la phase 2 «Études préliminaires», soit par le mandant lui-même, soit sur mandat de sa part. Ce document est mis à jour par le directeur général du projet et le mandant au terme de chaque phase partielle, en fonction des résultats obtenus.

 

L’ensemble des définitions contenues dans la collection de normes SIA sont répertoriées sur term.sia.ch.

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