Plai­doyer pour les marges

S'emparer de la ville #2

Pour le second épisode de cette chronique consacrée à la préparation du Plan général d’affection (PGA) de Lausanne, les auteurs se sont intéressés au Vallon. Ce quartier vivant, dont les mutations à venir sont discutées par les personnes mêmes qui y résident, livre des enseignements précieux dont le futur Plan d’affectation pourrait s’inspirer.

Date de publication
22-07-2019

«Fragment indécidé du jardin planétaire, le Tiers paysage est constitué de l’ensemble des lieux délaissés par l’homme. Ces marges assemblent une diversité biologique qui n’est pas à ce jour répertoriée comme richesse. Tiers paysage renvoie à tiers-état (et non à Tiers-monde). Espace n’exprimant ni le pouvoir ni la soumission au pouvoir.»

Auteur de ces mots extraits du Manifeste du Tiers paysage, publié en 2003, Gilles Clément, jardinier et architecte du paysage, était à Lausanne le 16 juin dernier pour le vernissage de l’exposition rétrospective remontée à l’Orangerie du Service des parcs et domaines à l’occasion de Lausanne Jardins (voir TRACÉS n° 12-13). Il est ensuite monté au centre de Lausanne pour échanger avec les habitantes et habitants du Vallon, quartier où il se rend régulièrement depuis 2017. Il a pu observer la manière dont se déroulait le chantier participatif soutenu par la Ville de Lausanne dans le cadre du préavis Rues Vivantes et réunissant des personnes de compétences, générations et origines extrêmement diverses.1

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Proche du centre mais encaissé, créé par le comblement du Flon, le Vallon abrite, depuis le 19e siècle, des programmes dont la ville ne peut se passer mais qu’elle préfère ne pas voir. Activités industrielles, logements ouvriers, magasins et structures d’accueil pour personnes démunies y ont trouvé leur place. Depuis les années 1980 et une mobilisation fructueuse contre un projet de pénétrante routière, la population du quartier s’investit avec beaucoup d’intelligence et d’imagination pour améliorer son cadre de vie. Un processus de consultation mis en place par les autorités suite à la fermeture d’une usine d’incinération, en 2006, posant la question de l’utilisation du terrain libéré, lui a permis de déterminer une série d’objectifs dont certains sont aujourd’hui réalisés, à l’instar du développement d’activités sociales dans d’anciens garages, de la fermeture d’une route au trafic ou de l’aménagement de plantages.

Fondé en 2016 et ayant connu une deuxième édition en 2018, un festival intitulé Ô Vallon a amené de nouvelles personnes à s’intéresser au quartier et à y apporter leurs idées, renforçant son fonctionnement en tant que laboratoire. Les débats qui s’y déroulent sont du plus grand intérêt à l’heure où la Ville de Lausanne fait de la participation un élément clé de la manière dont le Plan directeur communal (PDCom) qu’elle a établi va se traduire dans un nouveau Plan général d’affectation (PGA). En effet, une démarche participative est prévue pour nourrir le « plan-guide à l’échelle des quartiers » qui doit permettre de passer d’un document à l’autre.

Entre réalisme et utopie

Un des éléments frappants des discussions qui se déroulent actuellement au Vallon est la diversité des échelles considérées. Des échanges peuvent aussi bien concerner un élément de mobilier urbain que la totalité du secteur de 1,5 km, constitué principalement de forêt, entre le Vallon et le quartier de La Sallaz. C’est autant la gestion de problèmes pouvant trouver une solution immédiate que des questions à long terme comme la pollution des sols qui sont abordées. Cette manière de faire fi de la frontière entre petit et grand, immédiat et lointain, réalisme et utopie est à prendre en considération pour l’avenir du développement de Lausanne et éviter que le chemin du PDCom au PGA corresponde à l’abandon de questions de fond, réduites à des slogans non contraignants, pour se concentrer sur des enjeux à petite échelle. L’histoire de l’urbanisme lausan-nois a rarement fait preuve d’anticipation ou de vision globale. Des lacunes à garder en tête, au moment où deux démarches participatives se déroulent de manière autonome alors qu’elles concernent des endroits voisins : d’une part, les places de la Riponne et du Tunnel2 et, de l’autre, les rues Pré-du-Marché et Clos-de-Bulle.

Ces dernières années, la construction en hauteur, la densification, la destruction de bâtiments existants pour les remplacer par d’autres sont des sujets qui ont été médiatiquement omniprésents sans que les autorités ne puissent dire quelles étaient leurs lignes directrices, si ce n’est favoriser l’utilisation de terrains disponibles plutôt que d’engager un débat de fond sur la forme de la ville de demain. Lausanne n’aura bientôt plus à sa disposition les espaces qui lui ont permis d’esquiver une prise de conscience de son caractère urbain en utilisant, comme dans le projet Métamorphose, les espaces encore non construits à ses marges. Or, les marges sont précieuses ! Si Lausanne peut se décharger sur la Confédération de l’interdiction faite à certaines personnes de résider sur son territoire, ou compter sur le Parlement vaudois pour interdire la mendicité, une journée au Vallon permet de mesurer ce qu’elle aura perdu lorsqu’auront disparu les « tiers lieux » qui permettent aux personnes marginalisées de partager leurs idées et leurs espoirs.

Notes

1 L’atelier était piloté durant le week-end par l’Atelier OLGa, spécialisé dans les démarches participatives, les aménagement d’espaces publics et l’accompagnement de processus de transformations de site.

2 Voir riponne-tunnel.com. Un concours d’idées pour l’aménagement des places de la Riponne et du Tunnel a été lancé le 7 juin dernier. Voir « Un jardin sur la place de la Riponne! », TRACÉS n° 12-13/2019, p. 36.

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