Une belle paysanne qui néglige ses humanités
S'emparer de la ville #3
Pour le troisième épisode de cette chronique consacrée à la préparation du Plan général d’affection (PGA) de Lausanne, les auteurs se demandent si la Ville de Lausanne a une stratégie ou une vision pour ses franges, notamment entre la ville-centre et l'ouest.
À la limite ouest de la ville, la halle marchandises de Sébeillon se situe à la rencontre de deux dynamiques territoriales, celles de Lausanne et de Renens. Après des années d’attente, sa nouvelle affectation est enfin connue pour les dix prochaines années: des activités de loisirs sportifs s’y installeront. Une annonce qui ne clarifie pas la stratégie de la Ville de Lausanne concernant ses franges, entre la ville-centre et l’ouest en particulier. Manque de vision ou de communication?
Citons deux projets récents. D’abord celui de la gare de Malley. À deux pas de la grande halle, il a su coordonner les autorités planificatrices et anticiper le développement urbain. Puis celui de la grande déchèterie intercommunale, nettement moins louable. Avec ses voies ferrées et son tunnel la reliant à l’usine d’incinération du Vallon, à l’autre bout de la ville, elle a été construite sans relation avec la dynamique du quartier, qui peu à peu perd son caractère industriel.
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Rappelons que la Ville de Lausanne ne fait plus partie, depuis 2016, des communes réunies au sein du Schéma et Développement de l’Ouest lausannois (SDOL), mis en place en 2003 pour enfin planifier le développement de l’Ouest lausannois. Elle est en revanche partie prenante d’autres Schémas directeurs des territoires qui l’entourent, ceux du Centre (SDCL) et du Nord lausannois (SDNL). Cette manière de procéder au cas par cas est-elle digne du chef-lieu du canton, dont on est en droit d’attendre qu’il soit porteur d’une vision à grande échelle?
Apprendre du SDOL?
Lausanne joue un rôle prédominant, par la population et les emplois qu’elle concentre. L’Ouest, lui, se distingue par un dynamisme structuré, économique, démographique, urbanistique, qui lui vaut une large attention1. Son échelle, son histoire typique des tissus périurbains, la diversité de sa population, poussent à repenser constamment les processus et les enjeux de sa planification urbaine. Le SDOL a ainsi mené une kyrielle d’études (schéma directeur, projet paysager, réseau vert, ensembles bâtis, ateliers, démarches participatives) produites par des dizaines de mandataires spécialisés (urbanistes, architectes-paysagistes, ingénieur en mobilité, en environnement, architectes, communicants, etc.), pour mieux comprendre ce territoire et ses potentiels.
Pure coïncidence, le Plan directeur intercommunal de l’Ouest lausannois (PDi-OL) était soumis à la consultation citoyenne au même moment que le Plan directeur communal (PDCom) lausannois. Dans le PDi-OL, les mandataires ont fait converger plusieurs échelles de territoires et de gouvernance. Leurs projets sont souvent visionnaires. L’abandon des limites administratives permet de poser les réflexions à l’échelle d’un bassin concret et délimité de population. Les potentiels de développement sont identifiés, les diversités et spécificités de chaque entité sont reconnues, tout en ciblant une identité commune. Concrètement, cela passe par le partage des infrastructures ou de la gestion du tissu bâti. Car le SDOL se veut pragmatique : il assume une approche opportuniste, capable de diriger plutôt que de quantifier, de qualifier plutôt que de contraindre.
L’Ouest s’émancipe de la ville centre. Il attire emplois et habitants et développe sa propre cohérence territoriale. Même si certaines de ses ambitions attendent encore d’être clairement définies, le PDi-OL enseigne que l’avenir urbain de Lausanne se situe dans son agglomération en mutation, rendant évidente la nécessité d’une coopération entre Lausanne et l’Ouest. Les grands projets à venir, comme les infrastructures des Jeux Olympiques de la Jeunesse de 2020 ou le Campus Santé aux Côtes de la Bourdonnette, profiteront au rayonnement de Lausanne et au quotidien de sa population. L’absence de Lausanne dans les instances et les planifications de l’Ouest n’en sera que plus incompréhensible.
La ville centre a de précieuses cartes en main pour donner un cap et le mettre en œuvre. Elle les avait à Malley, en tant que propriétaire des terrains, elle n’a pas su les jouer. Elle a aussi beaucoup à apprendre de l’attitude de l’Ouest, qui fait de l’intelligence collective la base de sa planification. En se tenant à l’écart de structures intercommunales comme le PDi-OL, en intervenant dans sa périphérie sans vision cohérente, Lausanne ressemble à une belle paysanne qui refuse de voir que le temps a évolué depuis celui où elle a fait ses humanités2.
Notes
1. Prix Wakker en 2011, publication de « L’Ouest pour horizon » Halte RER Prilly-Malley, 2012, rénovation de la gare de Renens / programme ferroviaire Léman 2030, multiples financements dans le cadre du PALM.
2. Paroles de Jean Villard dit Gilles « Lausanne, une belle paysanne qui a fait ses humanités ».