Où est la mai­son de mon ami ?

Abbas Kiarostami, 1986

Abbas Kiarostami a fabriqué des possibilités spatiales nouvelles pour les besoins de son film «Où est la maison de mon ami  », réalisé en 1986. Pour obtenir la lumière souhaitée, il a par exemple fait envelopper une école d'un énorme drap blanc. A la manière de Christo et Jeanne-Claude, note Le Silo.

Date de publication
26-02-2013
Revision
01-09-2015

Dans Où est la maison de mon ami ?, tourné par l’iranien Abbas Kiarostami en 1986, le cinéma fait preuve de son rapport double à l’espace : d’une part il enregistre l’image de ce qui existe, de façon à l’immortaliser ; d’autre part il fabrique des possibilités nouvelles. Ainsi, afin d’obtenir la bonne lumière à l’intérieur de la salle de classe où l’histoire démarre, Kiarostami fait envelopper l’école dans un énorme drap blanc, telle une installation de Christo et Jeanne-Claude. Autre exemple : la colline qui, dans le film, sert à séparer les villages (Poshteh et Koker, au nord-est de Téhéran) où vivent chacun des deux protagonistes (Ahmad et Nematzadé, camarades à l’école primaire) se voit affublée d’un curieux chemin en Z, tracé par les enfants du village pour les besoins du tournage. 
L’intrigue est assez simple : Ahmad et Nematzadé ont des cahiers identiques ; à la sortie de l’école, le premier prend par hasard celui du deuxième. Il passera tout le film à essayer de le lui rendre. Pour cela il lui faudra trouver sa demeure, prétexte à trois traversées de la colline menant au village voisin qui, Ahmad le découvrira plus tard, compte plusieurs quartiers et de nombreuses familles Nematzadé. Si les deux interventions dans le paysage citées plus haut témoignent du pouvoir du cinéma de modifier un lieu donné, les choix opérés par Kiarostami privilégiant les décors réels et des acteurs non-professionnels instaurent un rapport au monde de nature documentaire. Un tel besoin de réel prendra, nous le verrons, les contours d’un désir avoué de garder en image un lieu destiné à la disparition. Ceci se vérifie de manière particulièrement aigüe dans la séquence où Ahmad fait la rencontre d’un vieux menuisier qui prétend le conduire à l’adresse recherchée. La journée touche à sa fin. Ahmad est à court d’énergie et de patience, après de multiples allers-retours à Poshteh. Se tisse alors le seul véritable dialogue du long-métrage.
Dans une scène de transmission assez classique, le vieillard, marchant avec difficulté, fait part de sa tristesse à l’enfant, évidemment pressé : les portes et fenêtres en bois qu’il produisait de manière artisanale sont progressivement remplacées par de nouvelles portes et fenêtres métalliques. Le clair-obscur de cette séquence révèle la silhouette des fenêtres, mettant en évidence leurs détails. « Elles ont résisté pendant tellement longtemps, elles sont d’une excellente qualité, elles méritent le respect et la reconnaissance des habitants », dit le menuisier. 
Si dès la sortie du film cette séquence était notée comme l’une des plus importantes, en 1990, lorsqu’un tremblement de terre ravage Koker et Poshteh provoquant la mort de 50 000 personnes et la destruction des constructions vues dans Où est la maison de mon ami ?, le dialogue commence à être vu comme prophétique. L’aventure du retour de Kiarostami dans cette région juste après le séisme gagne les écrans dans Et la vie continue (1991), formant, avec Au travers des oliviers (1994), une trilogie. Nous ne disposons pas d’éléments suffisants pour affirmer que le premier film de cette triade aurait prévu le désastre ; néanmoins, nous pouvons considérer que les images du bois travaillé par le vieux charpentier fonctionnent comme liaison entre deux époques séparées par la fracture géologique, tel un pont au-dessus de la faille – bâti avant même qu’elle ne s’ouvre.

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