Oi­kos et Po­lis dans une boîte d’al­lu­mettes

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Le Silo se penche ici sur le premier long métrage du réalisateur chypriote Giannis Oikonomides. "La boîte d'allumette" raconte le quotidien de la famille Dimitris. Les membres de cette famille sont filmés uniquement à l'intérieur de leur appartement.

Date de publication
15-10-2013
Revision
12-10-2015

Dans un article intitulé « Oikopolitics, and Storms »1, l’activiste et écrivaine Angela Mitropoulos propose d’établir une analogie entre catastrophes écologiques et crises économiques. Pour Mitropoulos, les deux voies conceptuelles empruntées par l’ancien oikos (la maison, l’habitat, le foyer en grec) gagnent à être mises en rapport : d’une part, l’oikos renvoie à la science des êtres vivants dans leur milieu, c’est-à-dire à l’écologie ; d’autre part, l’oikos renvoie à une science basée sur l’activité humaine reposant sur la production, la distribution, l’échange et la consommation de biens et de services, autrement dit à l’économie. Allant à l’encontre de la fracture aristotélicienne entre oikos (la sphère privée) et polis (le domaine public), Mitropoulos invite ses lecteurs à méditer l’hypothèse d’un concept « oiko-politique » pensé sur la base d’un paradigme domestique généralisé et revisité.
Le scénario de la fusion entre oikos et polis peut s’appliquer à la Grèce depuis sa constitution en tant que nation libre. Qu’il soit lié au népotisme ou au rôle des « tzakia » (littéralement, il s’agit de « cheminées », renvoyant à une poignée de familles de notables qui dominent l’administration politique et économique du pays depuis le 19e siècle), l’intervention pernicieuse de l’oikos dans les affaires de polis n’a jamais cessé de poser problème. La création artistique, notamment cinématographique, ne pouvait évidemment rester impassible devant un phénomène d’une telle ampleur. Aussi, un grand nombre de réalisateurs hellénophones contemporains – appartenant à la dite « vague du bizarre »2 – font du foyer un thème de prédilection sinon un motif obsessionnel et se concentrent en particulier sur les relations-interactions nocives et parfois destructrices des individus qui le composent.
Dans son premier long métrage, La boîte d’allumettes (2003), le réalisateur chypriote Giannis Oikonomides dresse le portrait d’un ménage de classe moyenne à Korydallos (une agglomération du Pirée à la périphérie d’Athènes où se trouve l’une des principales prisons grecques). Le film représente le quotidien de la famille de Dimitris, un homme grincheux d’âge moyen sur le point de prendre une décision importante concernant ses affaires. Filmés entièrement à l’intérieur de leur appartement un jour de canicule estivale, les personnages du film sont observés durant un interminable marathon de cris et d’actes de violence psychologique. L’ambiance est absolument étouffante et les murs de l’appartement bloquent tout horizon de mouvement physique ou d’action. La boîte d’allumettes circonscrit un espace de confinement tout à la fois corporel et intellectuel, un milieu où les êtres vivants se trouvent volontairement murés sous l’effet des conditions climatiques autant que d’un dérèglement économique qui leur échappe. Ainsi, cette « boîte » fait-elle office de laboratoire d’observation autrement écologique, laissant deviner in fine le scénario de tempêtes se soulevant bien au-delà des limites de l’espace domestique.

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Notes

1. "Oikopolitics, and Storms" est paru dans "Global South", Muse 3:1, 2009. Angela Mitropoulos est basée en Australie.
2. Définition forgée par le critique de cinéma Steve Rose dans l'article "Attenberg, Dogtooth and the Weird Wave of Greek Cinema", in The Guardian, 27 août 2011 (www.theguardian.com/film/2011/aug/27/attenberg-dogtooth-greece-cinema)

 

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