Nou­veau siège de l’OIM – vers une ar­chi­tec­ture du cli­mat?

Si l’on peut regretter que l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) ait privilégié un nouvel édifice pour accueillir son siège à Genève, plutôt que de transformer celui existant, il faut toutefois reconnaître les très grandes qualités que le projet lauréat promet d’apporter au Jardin des Nations. Décryptage d’une tectonique climatique élégante – et délicate.

Date de publication
22-11-2022

Le concours sur invitation lancé cette année pour le nouveau siège de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) a lieu à une époque troublée: cet été, le déplacement, au Pakistan, de près de dix millions de personnes à cause des inondations nous a tristement rappelé que le nombre de réfugié·es climatiques ne fera que croître; de même que le nombre de réfugié·es politiques, ou de personnes fuyant les guerres. Dans ce contexte, renforcer la position de l’OIM semble pertinente.

Membre du système des Nations Unies depuis 1951, l’OIM a longtemps possédé, à Genève, une présence limitée en tant qu’institution – étant hébergée soit dans des locaux loués, soit dans l’immeuble actuel sis 17, route des Morillons. Aujourd’hui, le maître d’ouvrage ambitionne de fonder un siège qui soit à la fois capable de s’insérer délicatement dans l’écrin du Jardin des Nations, tout en s’adressant au monde. Retour sur le concours en compagnie de la présidente du jury, l’architecte parisienne Manuelle Gautrand.

Un nouveau bâtiment durable est un oxymore

L’OIM se trouve au cœur du Jardin des Nations, à Genève. Ce territoire, hôte des organisations internationales, est un grand parc qui s’ouvre sur le Léman. Les édifices implantés dominent les lieux sur des flots verts1, tels de grands bateaux de verre et de béton. Ils ont pour la plupart été conçus dans les années 1950 à 1960. De fait, ils incarnent l’idéal des modes de travail de l’époque: les typologies sont généralement des plateaux de bureaux formés de petites cellules individuelles, propices au travail solitaire. Pour répondre aux nouvelles demandes, certains d’entre eux ont été rénovés et agrandis – c’est le cas par exemple du quartier général de l’OMS, dont l’extension réalisée en 2020 par le bureau Berrel Kräutler, s’appuie sur le bâtiment existant de Jean Tschumi (1966).

La pandémie et l’évolution des processus du secteur tertiaire interrogent les typologies que nous connaissions depuis la modernité : les plateaux de bureaux se vident. Il faut donc soit les reconvertir2, soit repenser leur usage. À l’heure de la généralisation du télétravail, pourquoi souhaite-t-on encore se réunir?

Avant les éloges, commençons par les griefs. Le maître d’ouvrage demandait de remplacer l’actuel siège de l’OIM par un «nouveau bâtiment durable» – un oxymore à l’heure où l’on sait pertinemment que le bâtiment le plus «vert» est celui qui est déjà construit3. Face aux exigences du programme, il est intéressant de constater qu’aucune des équipes participant au concours n’a fait le choix de la transformation du bâtiment existant.

L’objectif du concours était de formuler une proposition pour un édifice capable d’accueillir des espaces de travail individuels, mais aussi et surtout des espaces communs et sociaux ainsi qu’un centre de conférences. «La plupart des personnes qui travaillent à l’OIM sont en mission à l’étranger et rentrent à Genève pour échanger avec leurs collègues : il était donc important qu’elles disposent d’un lieu emblématique, qui reflète leur mission et qui favorise les rencontres informelles, nous a expliqué Manuelle Gautrand. Après la pandémie, on se rend désormais moins au travail pour produire que pour échanger avec ses collègues. Et il faut favoriser ces lieux de discussions et de rencontre, propices à l’émergence de nouvelles idées.»

Quatorze équipes internationales et un jury de femmes

Pour réfléchir au futur siège de l’organisation, quatorze équipes internationales, travaillant de pair avec quatorze bureaux locaux, ont été invitées. Le jury professionnel, sur choix des organisateur·ices, était composé exclusivement de femmes, chacune dotée d’un champ d’expertise différent. Un choix étonnant, qui a été perçu positivement par la présidente: «Les discussions ont eu lieu dans un grand respect, de manière très équilibrée. Ce que je trouve aussi remarquable, c’est le déroulement des jurys en Suisse. Le premier jour, nous nous sommes rassemblées et avons effectué l’analyse architecturale. Ce n’est que le deuxième jour que nous avons eu les analyses techniques, précises et exhaustives, présentées par les expert·es. Cette méthode, qui consiste à placer l’architecture avant les considérations techniques, a l’énorme avantage de ne pas polluer le débat. En France, le système est inversé : la discussion est trop souvent vécue comme une castration.»

La beauté au service de l’usage

À l’issue des délibérations, c’est le projet Junon, porté par le bureau g8a (fondé à Hanoï par des architectes genevois) et Localarchitecture (Lausanne) – qui l’a emporté. Même si, dans la critique d’architecture, on ose rarement prononcer le mot interdit, lâchons-le: le projet lauréat est beau. L’œil parcourt les lignes fluides du vaisseau de bois, qui l’inscrivent avec une élégance vive dans l’historique Jardin des Nations. Pourtant, la résolution constructive de ce qui ressemble à une arche en bois est plus massive qu’il n’y parait : le bâtiment est ancré dans la terre par un sous-sol en béton armé, sur lequel repose le noyau, lui aussi minéral. Les dalles principales, réalisées en béton armé recyclé, prennent appui sur le noyau et sur les colonnes de façade métalliques. Seules les dalles des étages intermédiaires sont en bois.

La volumétrie incurvée du bâtiment, qui répond aux diamètres de protection à conserver autour des grands arbres du site, est quant à elle aussi fonctionnelle qu’esthétique. «Les grandes courbes tendues des façades permettent de conserver les alignements paysagers en épargnant les arbres. Elles forment comme des bras ouverts qui mettent la végétation en valeur», commente la présidente du jury. Le travail en double hauteur des façades permet non seulement de diminuer visuellement la taille du bâtiment et de lui conférer une échelle plus domestique mais il offre aussi aux bureaux des espaces d’une grande richesse, qui s’ouvrent de plain-pied ou en mezzanine sur un entre-deux végétalisé, à la fois jardin d’hiver et espace de rencontre. «Ce sont des espaces de respiration extraordinaires, très intéressants en termes d’atmosphère, de spatialité, mais aussi en matière d’architecture bioclimatique, souligne Manuelle Gautrand. La profondeur de la façade, dotée de deux types d’occultations solaires, offre une certaine résilience et une grande plasticité.»

L’idée de placer les espaces de circulation dans un entre-deux tempéré, évoquant l’univers de la serre botanique, a un précédent en Suisse romande: en 2017 déjà, Bruther et Baukunst proposaient une solution comparable pour le nouveau bâtiment des Sciences de la vie, sur le campus de l’UNIL et de l’EPFL. Dans ce cas-ci, le projet a fait l’objet d’un bras de fer entre le maître d’ouvrage, qui souhaitait une solution plus low-tech, et les architectes, qui ne voulaient pas abandonner leur système automatisé4. Qu’en sera-t-il à Genève?

Si Manuelle Gautrand reconnaît qu’il faudra beaucoup d’adresse aux lauréats pour dépasser les enjeux techniques et passer du concours à la réalisation, elle estime que la situation est toutefois différente: «Dans le projet de l’UNIL, il y avait une grande monumentalité dans les espaces de circulation. Au contraire, la spatialité proposée par Junon pour l’OIM a des qualités domestiques. Les bureaux restent droits, mais la courbe de la façade confère aux jardins d’hiver des dimensions changeantes, ce qui apporte de la diversité.»

Comme pour le projet du bâtiment des Sciences de la vie, le comité d’évaluation recommande de simplifier les mécanismes de Junon, afin de favoriser un usage quotidien (en mettant par exemple des ouvrants sur l’extérieur, en privilégiant la ventilation naturelle et en étudiant les brise-soleils photovoltaïques). Dans ce projet très innovant, le défi est là : concrétiser la poésie de la coupe sur les jardins d’hiver.

Apprendre d’ailleurs

Si le choix du projet lauréat paraît évident, la présidente du jury a aussi tenu à souligner les très grandes qualités de Green Diversity (2e rang, Productora et RDR) ainsi que Terre commune (3e rang, Rozana Montiel et Dreier Frenzel). Le premier prenait le parti de limiter l’utilisation des niveaux en sous-sol et de construire un bâtiment en terrasses. L’élégance de ses façades et des espaces extérieurs conviviaux n’ont toutefois fois pas réussi à apaiser l’impression de trop grande monumentalité dégagée par la solution. Le projet Terre commune, quant à lui, a séduit par l’utilisation qu’il faisait de la terre du site comme matériau de construction.

En conclusion, le format de ce concours, qui exigeait un binôme mi-helvétique, mi-étranger, a contribué à faire émerger des solutions techniques différentes de celles qui se pratiquent habituellement à Genève. Celles-ci nous renseignent sur la variété de relations culturelles envers le climat, et sont autant d’invitations à reconsidérer les nôtres. S’il est clair que le nouveau siège de l’OIM est avant tout une vitrine, peut-être est-ce l’occasion d’en faire aussi un lieu d’expérimentation pour la durabilité, et non une image figée, aussi belle soit-elle.

Notes

 

1. En 2021, le vaste jardin a d’ailleurs fait l’objet d’une vision élaborée de manière contributive par les différents partenaires de la Genève internationale et menée par le collectif Architecture Land Initiative (ALIN). Cette étude définit le site comme un quartier-paysage et a proposé, tout au long des mois de septembre et d’octobre de cette année, des événements et des installations pour transformer de manière pérenne la place des Nations et ses abords. Plus d’informations : ge.ch/evenement/quartier-paysage-jardin-nations

 

2. Isabel Concheiro, Dossier: Bureaux habités, prière de ne pas démolir, TRACÉS 7/2022

 

3. Carl Elefante, «The Greenest Building Is... One That Is Already Built», Forum Journal 27 – 1/2012, pp. 62-72.

 

4. Emmanuel Borloz, « Un bâtiment à 136 millions prend forme dans le malaise », 24 heures, 09.05.2019. Voir aussi Marc Frochaux, «Une infrastructure au service de la vie du campus», TRACÉS 04/2017

Concours de projets pour le nouveau siège de l’OIM à Genève (GE)

 

Maître d’ouvrage:
Organisation internationale pour les migrations (OIM)

 

Procédure:
Concours de projets sur invitation, SIA 142

 

Projets primés:
Junon (1er rang, 1er prix), g8a, Localarchitecture


Green Diversity (mention, 2e prix): Productora, RDR Architectes, Dr. Lüchinger+Meyer Bauingenieure, Verzone Woods Architectes, Transsolar


Terre commune (2e rang, 3e prix): Rozana Montiel Estudio de Arquitectura, Locus, Dreier Frenzel Architecture


Panier du monde (mention, 4e prix): Toshiko Mori Architect, dl-a designlab architecture


The Nest (mention, 5e prix): Diller Scofidio + Renfro, Itten + Brechbühl, Buro Happold, Atelier Miething

L'ensemble des projets primés sur notre plateforme dédiée aux concours.

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