Mike Kel­ley et l’ar­chi­tec­ture

Le Centre Pompidou à Paris consacre une rétrospective à l'artiste américain, grande figure de l'art contemporain qui a parfois instauré dans son travail un dialogue avec l'architecture

Date de publication
25-06-2013
Revision
23-10-2015

Mike Kelley, figure éminente de l’art contemporain américain, a laissé derrière lui une œuvre plurielle et protéiforme, portée par une réflexion théorique soutenue et traversée par l’esprit trash et contestataire de la classe populaire dont il est issu. Même si le rapport à l’architecture n’est pas constant, Mike Kelley a instauré à plusieurs reprises un dialogue direct avec elle, dans lequel il s’est placé, significativement, du côté des usagers. 
Parmi ses tous premiers travaux, on distingue une série d’Abris pour Oiseaux (1976-1978) que l’artiste va concevoir en suivant les manuels de construction, aussi populaires et fréquents aux Etats-Unis que les nichoirs eux-mêmes. Ces maisons miniatures pour animaux de passage sont l’occasion d’une étude sur les aberrations de la rhétorique architecturale portée par un effet de zèle. Ainsi dans Gothic Birdhouse, Kelley superpose plusieurs fois le même toit, en forme de V renversé, sur le tympan du nichoir, ce qui donne un sentiment de flèches ascendantes : « idée purement gothique : la maison qui monte vers le haut ». Wide Bird to Tall Bird est construit comme un passage ayant le pouvoir de déformer l’oiseau qui le traverse. D’un côté, l’orifice est une fente horizontale, de l’autre elle est verticale, ce qui conduit à imaginer que, en son centre, l’oiseau prendrait la forme orthogonale d’un X. Cette réflexion formelle sur les oiseaux et leurs espaces d’habitation éphémères peut être vue comme un premier dialogue avec l’architecture, même si ce n’est pas explicitement le cas. Les Birdhouses sont présentées ironiquement comme des maisons de l’âme, dans un pastiche du vocabulaire chrétien de la séparation du corps et de l’esprit. Mike Kelley reporte sur ces constructions artisanales une réflexion sur le conditionnement du corps par l’espace architecturé et utilise un modèle culturel pour interroger la signification des formes.
En 1990, il est invité par Frank Gehry à investir le bâtiment d’une agence de publicité que ce dernier construit. Le projet n’aboutira pas, mais Kelley décide de réaliser son idée de façon autonome sous la forme d’une maquette grandeur nature. Dans les salles d’exposition, il présente cinq salles de réunion de l’agence ainsi que la salle de l’imprimante et du fax (copy room). Percées de trous circulaires dans les murs qui les font communiquer, rien dans ces salles ne peut demeurer confidentiel. Un désordre usuel règne autour de l’imprimante et contraste avec les autres salles, poliment agencées en accord avec l’esprit de l’entreprise. Mais ce sont les peintures murales noires et blanches qui supportent l’essentiel de l’intervention de Mike Kelley. Les cimaises sont remplies d’agrandissements de dessins humoristiques (office cartoons) faxés entre employés. Ces dessins apparaissent d’autant plus fanés qu’ils sont populaires, dans un effet de mime de leurs reproductions faxées et re-faxées. Subversifs, parfois vulgaires et contestataires, ils témoignent des tensions dans la vie de l’agence. Là où Gehry visait à dévoiler la structure du bâtiment, Kelley cherche à « exposer la hiérarchie dans les espaces de travail ».
Educational Complex est son projet le plus ambitieux en matière d’impact de l’architecture sur la vie. En 1995, Kelley a construit de mémoire une vaste collection de maquettes, présentée sous plexiglas sur une table de grande envergure, et rassemblant tous les établissements éducatifs qu’il a fréquentés, à commencer par sa maison familiale. On y trouve les écoles où il fit ses études artistiques, dont CalArts, aussi bien que le Zoo ou la Catholic Elementary School. Mais 80 % des détails architecturaux de ces édifices reproduits en blanc sont, selon Kelley, impossibles à se remémorer avec exactitude : ils demeurent plongés dans un oubli relatif mis sous le coup des supposés traumatismes subis par l’artiste lorsqu’il vivait dans ces espaces où il fut, selon ses termes, « abusé ». Kelley joue ici avec l’obsession américaine du syndrome des souvenirs refoulés et avec son corollaire, le faux souvenir, dont les effets déclenchèrent une importante polémique, relayée par les médias, sur les délations inconsciemment mensongères. Kelley déplace le problème de la sphère familiale (abus sexuel) à l’espace public (abus éducatif) et du caractère fugitif de la mémoire au concret du bâti. Mais, si ce complexe architectural uniformément blanc semble utopique, il incarne aussi la dystopie des zones obscures de tout système pédagogique. Un petit matelas permet de se glisser sous la table des maquettes et d’y contempler la copie du sous-sol de la CalArts. Semblable aux autres bâtiments, on n’y découvre aucun indice donnant le fin mot de l’histoire. Comme souvent chez Kelley, le caché n’est pas forcément le vrai.

 

Mike Kelley au Centre Pompidou

Les Birdhouses et Educational Complex sont actuellement visibles au Centre Pompidou qui consacre une rétrospective à l'artiste décédé en 2012. Jusqu'au 5 août 2013, à Paris.
www.centrepompidou.fr

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