Mieux com­mu­ni­quer pour mieux cons­truire

Les règlements concernant les prestations et les honoraires de la SIA offrent une liberté d’interprétation qui peut donner lieu à des «notions juridiques indéterminées». Pour éviter que celles-ci ne mènent à des litiges, mieux vaut mettre les choses à plat préalablement. Preuve par l'exemple.

Date de publication
21-12-2022

Une «notion juridique indéterminée» est un terme n’ayant pas de définition fixe et qui laisse une certaine marge de compréhension. Le contrôle des travaux en est une. Selon la norme SIA 112 Modèle «Étude et conduite de projet» (2014), il «comprend la surveillance périodique, par le professionnel spécialisé concerné, de l’exécution des éléments de construction dont il s’occupe. Le contrôle des travaux ne recouvre pas la direction des travaux, mais la complète.» Alors qu’à première lecture les choses paraissent claires, elles le sont un peu moins si on se demande ce que signifie exactement «périodique» ou «compléter»... Il n’est pas non plus précisé quel degré de responsabilité ledit «contrôle» implique. Si le flou de la formulation peut faire sourciller, le juriste y verra une vertu: plus une définition est précise, plus il est difficile d’y satisfaire, tant pour ce qui est de l’exhaustivité que de la compréhensibilité. Il est admis que le niveau de détail est proportionnel aux exigences du mandant, ce qui est particulièrement vrai en lien avec les descriptifs de prestations. Pour ce qui est des règlements concernant les prestations et les honoraires de la SIA, il ne faut pas oublier qu’il s’agit de bases contractuelles et qu’à ce titre, une certaine latitude doit être préservée vu qu’ils doivent être applicables dans un grand nombre de cas. Dès lors, c’est aux parties de régler contractuellement les points qui relèvent spécifiquement de leur projet.

Smog électrique: quand la statique part en fumée...

Si le «contrôle des travaux» est une notion juridique indéterminée, il n’en peut pas moins avoir des conséquences bien réelles. Un bureau d’ingénierie l’a appris à ses dépens, dans le cadre d’un chantier tout ce qu’il y a de plus ordinaire. Le projet concerne deux maisons multifamiliales identiques, comportant chacune 40 unités d’appartements, qui doivent être réalisées en construction massive avec une structure porteuse en béton armé. Les plans d’exécution sont rapidement élaborés, puis la mise en œuvre est confiée à des entrepreneurs tandis que la direction des travaux se charge de piloter, coordonner et surveiller le chantier. À ce stade, les ingénieurs n’ont plus qu’à intervenir ponctuellement pour effectuer des contrôles des travaux à la demande de cette dernière. La mandante étant atteinte d’électrosensibilité, il est fait appel à un spécialiste en smog électrique dès la phase d’étude. Le tracé des conduites est ainsi réalisé de manière à réduire la diffusion d’ondes tout en tenant compte des impératifs liés à la statique. Pendant la phase de réalisation, le spécialiste se rend sur le chantier pour peaufiner son concept. À cette occasion, la direction des travaux invite l’ensemble de l’équipe de projet à une visite commune, mais ce jour-là, l’ingénieur civil est malheureusement retenu ailleurs. L’expert en smog électrique décide alors d’améliorer ledit tracé, qui doit désormais passer au-dessus des murs porteurs — une idée qui convainc toutes les personnes présentes. Tant et si bien que le bureau d’ingénierie n’est pas informé. Lors du contrôle des travaux subséquent, l’ingénieur civil découvre que la nouvelle disposition des conduites fragilise la statique du bâtiment. Aucun dégât n’est (encore) à déplorer, reste à savoir qui paiera les pots cassés…

Quand chacun voit midi à sa porte

La définition de la responsabilité diffère selon qu’il s’agisse de droit des contrats d’entreprise ou de droit des mandats. Dans le premier cas, l’accent est mis sur l’exécution correcte de la commande, dans le second, le respect du devoir de diligence est déterminant. En vertu du contrat d’entreprise, l’entrepreneur est tenu de réaliser les travaux conformément aux plans d’exécution. S’il manque à cette obligation, il peut se voir reprocher d’éventuels défauts de construction de l’ouvrage. Mandatée par le maître de l’ouvrage, la direction des travaux le représente auprès des entrepreneurs, avec les droits et devoirs que cela implique: il lui incombe donc de superviser, coordonner et surveiller le chantier. Elle porte à ce titre une grande responsabilité dans la réalisation du contrat. Tout comme l’équipe de concepteurs, la direction des travaux, en sa qualité de mandataire du maître de l’ouvrage, est assujettie au droit des mandats.

Partant, les choses semblent claires: l’entrepreneur a réalisé un ouvrage défectueux. La direction des travaux a failli à ses fonctions fiduciaires en omettant de solliciter l’expertise de l’ingénieur civil préalablement à la modification des plans. Et pourtant, les acteurs du projet impliqués dans ces changements ont adopté un angle de défense bien différent. Le spécialiste a argué qu’il avait respecté le devoir de diligence pour son domaine, précisant que les questions de statique relèvent de la compétence de l’ingénieur civil et non de la sienne. Le directeur des travaux a poursuivi sur la même ligne argumentative: bien qu’il y ait été invité, l’ingénieur civil ne s’est pas présenté pour effectuer la visite de contrôle. Ils ont ainsi réussi à convaincre lors des audiences de conciliation. Résultat, c’est l’assurance de l’ingénieur civil qui a pris en charge la plus grande partie des frais occasionnés, les autres acteurs du projet voyant leur responsabilité minimalement engagée.

Si des conventions univoques avaient été mises en place, l'ingénieur civil n'aurait pas eu à subir les conséquences des décisions malencontreuses d'autres acteurs du projet. Dès le départ, les partenaires contractuels devraient définir les «notions juridiques indéterminées» dans le cahier des charges du projet. Pratique pour savoir si par «périodiquement» il faut entendre tous les deux jours ou une fois par semaine… Ce cahier permet également de déterminer les domaines de compétence, les chemins décisionnels et le format des réunions — dont le but est notamment d’aborder d’éventuels problèmes en toute transparence. Il est en outre recommandé de tenir un journal des travaux pour accompagner la réalisation étape par étape. Si ces procédés peuvent paraître rébarbatifs, il faut garder à l’esprit que pour bien collaborer, il faut bien communiquer — ce qui suppose de partager un cadre de références communes. Contrairement à ce qui est souvent avancé en cas de litige, un «contrôle périodique des travaux» n’est pas automatiquement un contrôle effectué aussi souvent que nécessaire. Si la fréquence des contrôles n’est pas spécifiée, le juge commencera par s’interroger sur ce qui constitue le périmètre raisonnable de ce que les parties étaient, en toute bonne foi, en droit d’attendre. Même lorsqu’un contrôle des travaux a été effectué et qu’un défaut de construction a échappé à la vigilance de l’ingénieur, la responsabilité de ce dernier n’est pas automatiquement engagée. En effet, contrôle des travaux n’est pas synonyme de réception de l’ouvrage — ce qui nous renvoie à l’épineuse définition des obligations de diligence. Une question qui donnerait sans nul doute du grain à moudre à nos amis juristes.

Fonctions et rôles selon la norme SIA 112, édition 2014

  • L’équipe d’architectes et/ou d’ingénieurs se compose du directeur général du projet, des professionnels spécialisés et des spécialistes.
  • La direction générale du projet consiste à conduire et coordonner l’équipe d’architectes et/ou d’ingénieurs et à assurer la communication avec le mandant, les autres acteurs du projet et les tiers.
  • On qualifie de professionnels spécialisés les ingénieurs ou architectes qui n’assument pas la direction générale du projet.
  • On qualifie de spécialistes les professionnels qui traitent, pour l’équipe d’architectes et/ou d’ingénieurs, de certains aspects particuliers d’un ouvrage.
  • La direction des travaux représente le maître de l’ouvrage ou le mandant vis-à-vis des entrepreneurs et des fournisseurs. Elle pilote, coordonne et surveille les travaux sur le chantier.
  • Le contrôle des travaux comprend la surveillance périodique, par le professionnel spécialisé concerné, de l’exécution des éléments de construction dont il s’occupe. Le contrôle des travaux ne recouvre pas la direction des travaux, mais la complète.

Retour sur la notion de contrôle des travaux

Le terme de «contrôle des travaux» apparaît pour la première fois en 1969 dans l’ancien règlement concernant les prestations et honoraires des ingénieurs civils SIA 103. Le but était de délimiter le domaine de responsabilité de l’ingénieur en tant que professionnel spécialisé par rapport à celui de l’architecte, en tant que directeur général du projet: «La direction des travaux d’exécution est assumée par l’architecte. L’ingénieur ne s’occupe que des contrôles périodiques concernant les structures porteuses.» (SIA 103, éd.1969, art. 3.6). Pour ce qui est de la responsabilité de la direction locale des travaux, l’art. 19.5 l stipule que l’entrepreneur doit suivre les directives de l’auteur du projet et ne doit entreprendre de modifier le projet qu’en accord avec ce dernier. La direction des travaux est tenue d’informer l’auteur du projet en continu et de l’inviter régulièrement à visiter le chantier, mais plus spécifiquement en cas d’événements exceptionnels requérant une attention particulière. Cette interprétation reste valable aujourd’hui encore. En revanche, dans la SIA 112 cette précision fait place aux notions juridiques indéterminées, avec la flexibilité et les risques qui vont de pair.

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