Main basse sur la ville

Le collectif Silo se penche ici sur le film Le Mani sulla Città, réalisé en 1963 par Francesco Rosi. Le cinéaste italien prend la ville de Naples comme sujet de son enquête et tente de comprendre les ambitions et les luttes qui guident la conduite de sa ville natale.

Date de publication
03-10-2012
Revision
01-09-2015

Le titre original de ce film primé au Festival de Venise de 1963, Le Mani sulla Città, dit bien la forme et le contenu du projet de Francesco Rosi. 
Le cinéaste prend en effet la ville de Naples comme sujet de son enquête, choisissant de mettre en lumière les ambitions et les luttes - politiques, économiques, financières – qui en guident la conduite. Qui, dans cette société napolitaine gangrénée par la corruption, a en effet la main sur la ville ? Plusieurs personnalités inspirées du réel sont mises en scène par le film, mais notamment une, Edoardo Nottola, promoteur immobilier et membre du conseil municipal de Naples – génialement incarné par l’acteur américain Rod Steiger. Nottola personnifie la collusion toute italienne entre pouvoir politique et organisation maffieuse. Nottola est la figure cinématographique du conflit d’intérêt. Son bureau est théâtralement tapissé par d’immenses cartes de Naples, comme s’il était le général en chef d’une imminente attaque militaire, et occupé par une immense maquette de son projet-phare : l’annexion des terrains agricoles de la périphérie napolitaine. Mais l’assise du personnage, la gravité et le regard intelligent que lui octroie Rod Steiger en font autre chose qu’une petite frappe maffieuse, et les longs plans nocturnes que lui consacre Rosi, sa solitude autant que son énergie, démontrent aussi le besoin qu’a le cinéma de s’emparer de ces figures ambivalentes.
L’idée de « collusion » entre des domaines idéalement maintenus séparés dans la sphère publique guide également l’organisation formelle du film, dont la force tient à son mode d’intervention « in medias res ». En effet, Rosi et ses collaborateurs ont écrit et tourné le film de façon à ce qu’il se situe constamment à la frontière entre le reportage, le documentaire et la fiction. Ces choix méthodologiques créent une urgence et un « recentrement » : on a rarement eu le sentiment d’être à ce point conduits au cœur des lieux de décisions, que celle-ci soient politiques, financières, maffieuses ou policières. Le Mani sulla Città donne ainsi accès aux échanges du conseil municipal, à ceux de la commission d’enquête censée clarifier le rôle des élus dans l’attribution de terrains publics à des sociétés privées, à l’expulsion par la police d’un quartier ouvrier, aux alliances politiques entre le centre et la droite, à l’achat de voies électorales par Nottola via la Camorra : toute une scène napolitaine se déploie devant nos yeux comme si nous étions placés au cœur d’un dispositif d’explicitation cherchant à « désosser » les processus de corruption et leurs diverses sources.
Le long plan aérien de la ville, qui ouvre et clôt le film, confirme cette idée d’une ville-objet : des désirs, des points de vue et des alliances. 

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