À l’échelle des grands clos
En frange du village de Chexbres (VD) et surplombant les vignes et le Léman, la rénovation et l’extension de l’établissement médicosocial (EMS) La Colline, réalisées par le bureau LVPH architectes, remet le bâti à l’échelle de son site.
Au début du 20e siècle, les temps sont durs pour les producteurs de vin. La région du Lavaux se tourne alors vers le tourisme en vantant ses paysages apaisants et son climat, que l’on dit guérisseur1. Parmi les établissements de santé qui se développent alors, la pension Raymond vient en aide aux alcooliques et investit une parcelle à la sortie du village de Chexbres, au sommet du vignoble. D’abord simple volume souligné par une terrasse arborée, cet établissement ne cessera d’être agrandi, d’abord en s’adossant à la route qui le longe à l’est, puis par l’ajout de balcons de grande envergure au sud. Une dernière extension crénelée accueillant des chambres permettra dans les années 1980 de répondre aux exigences d’un établissement médicosocial.
Lorsqu’en 2016 le bureau LVPH architectes répond au concours ouvert pour la rénovation et l’extension de l’EMS La Colline, le bâtiment existant se présente comme un grand gabarit fait de couches successives. Sa prestance n’égale pas celle des grands établissements hôteliers Belle Époque de la région et le volume n’est pas non plus à l’image d’une agrégation villageoise. C’est pourquoi, au-delà des 60 nouveaux lits à construire, de la rénovation des 45 lits existants et du réaménagement nécessaire des espaces collectifs, l’objectif déclaré du concours est d’améliorer l’intégration de l’établissement dans le site exceptionnel du vignoble, inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO. En limite du périmètre de protection, les contraintes paysagères fixées par le plan partiel d’affectation2 et la forte pente ne laissent que très peu de marge de manœuvre aux concurrents. L’exercice consiste donc à articuler la masse bâtie existante dans son site à travers la construction d’un socle à habiter.
Le dessin d’un sol
C’est par le dessin attentif des murs de vigne que les architectes parviennent à la réponse la plus convaincante au cœur de ce paysage aux sols architecturés. «L’invention du site3» consiste ici à reconnaître l’échelle des grands clos de vignes4 et à proposer trois grands murs habités qui poursuivent le dessin de ces terrasses viticoles. Articulés par les balcons des espaces communs, ces trois murs de clos s’insèrent entre les murs de pierre existants et s’adaptent à la topographie afin de réduire l’effet de front dans le paysage. La pente provoquant en permanence un jeu d’équilibre entre voir et être vu, c’est en coupe que ce jeu trouve son ancrage et ses proportions. Les murs habités s’étendent sur trois puis deux étages, et organisent deux niveaux de jardins clos profitant aux unités de psychogériatrie. Couronnés par une fine corniche, ils forment un grand belvédère, une étendue commune qui bénéficie à l’ensemble des pensionnaires et permet d’ouvrir la vue sur le lac, des Préalpes à Genève. Réciproquement, à l’échelle du grand paysage, cette horizontale précise et articulée assied le volume existant et rehausse la qualité architecturale de l’ensemble.
L’expression d’un socle
Pour parvenir à cette ambition et à l’intégration dans ce vignoble classé, la modénature du socle était au cœur des discussions dès le jury du concours. Le choix délibéré des piliers massifs qui soutiennent le fin tablier du belvédère rappelle des ouvrages du contexte infrastructurel local allant des voûtes qui soutiennent la route de la corniche dans l’escalade du Dezaley au belvédère du Caux Palace. La profondeur et l’épaisseur des piliers font disparaître les ouvrants de deux chambres disposées côte à côte, structurant un rythme qui se détache de l’expression hôtelière et répétitive. En résultent des cadrages étroits et toute hauteur balayant le vignoble, le lac, les montagnes et le ciel, sans pour autant exposer les résidentes et résidents à l’éblouissement. Pour contextualiser jusqu’à l’échelle constructive l’expression de ces grands murs, les architectes travaillent le potentiel expressif des briques de terre crue. Jouant de l’application de chaux sur certaines faces ainsi que de leur l’expression plus ou moins rugueuse, l’appareillage reproduit dans les tons terreux de brique de terre crue le moirage des murs des clos du Lavaux.
Typologies de la pente
Rentrer à l’amont par les espaces de vie traversants avant de descendre dans les chambres constitue une séquence contre-intuitive, mais courante dans les constructions implantées dans une pente. À l’échelle d’un tel établissement, les architectes lui donnent, par des choix précis en coupe, une dimension urbaine allant du village au paysage. Cette séquence oriente les parcours : arrivant par le nord, le grand volume existant obstrue la vue et nous guide vers l’ouest par les murs villageois qui bordent la rue jusqu’au pavillon d’entrée. Sa toiture inclinée se joue de la pente en s’ouvrant à l’amont sur une petite place qui cadre le lac à l’aval. Ce toit à un pan abrite une double hauteur qui insuffle un caractère public aux deux étages de référence. Il invite à descendre vers le restaurant qui, comme les programmes d’accueil et d’animation, profite d’un prolongement sur le belvédère. Cœur public et administratif de l’établissement, ces deux niveaux distribuent les unités de vie5 rénovées dans le bâtiment existant ainsi que les nouvelles dans le socle. Pour s’y rendre, une fois le pavillon de réception dépassé, la pente nous guide: soit on s’avance vers le lac pour chercher la circulation sculpturale qui descend dans le sol, soit on se retourne vers le couloir central du bâtiment existant avant de monter par deux escaliers en pierre. Leur préservation offre de bons repères dans la typologie hospitalière historique et répétitive aujourd’hui peu recommandée au sein des établissements médicosociaux.
L’implantation dans la pente sert également à distribuer les repères visuels : dans le socle, malgré la situation mono-orientée qui oblige parfois à revenir sur ses pas, l’articulation des trois blocs de chambres offre des repères asymétriques adaptés aux besoins des résidentes et résidents6. À l’est, le couloir s’ouvre à l’amont sur une cour anglaise et son paysage intérieur, tandis qu’à l’ouest, c’est un cadrage en bout de couloir sur la falaise à laquelle s’accroche le projet qui attire les déambulations. Mais ce sont les articulations résultant de l’implantation qui, de part et d’autre du bloc central, structurent le plan et dégagent deux généreux espaces communs prolongés par des balcons vers le grand paysage.
L’architecture proposée par LVPH nous rappelle que, de l’intégration paysagère à l’articulation des espaces communs et jusqu’aux détails de l’appareillage, un élément de contexte et ses échelles peuvent porter le projet. Le choix des clos du vignoble comme référence spatiale et constructive offre une cohérence bienvenue dans un site extrêmement contraint par sa topographie et permet de se détacher de l’obsession principale des sites en pente: et la vue.
Extension et transformation de l’EMS La Colline, Chexbres (VD)
Maître de l’ouvrage: Fondation La Colline
Architecture: LVPH architectes
Ingénieur civil: Alberti ingénieurs
Ingénieur CV: Chuard ingénieurs Vaud
Ingénieur sanitaire: H. Schumacher Ingénieurs Conseils
Ingénieur électricité: Thorsen
Ingénieur incendie: DVCI
Physique du bâtiment: Enpleo
Signalétique: Notter et Vigne
Concours: 2016
Réalisation: 2019-2024
SBP extension: 3838 m2
SBP transformation: 4582 m2
Coûts TTC CFC 1-5 extension: 18.57 mio CHF
Coûts TTC CFC 1-5 transformation: 12.62 mio CHF
Clément Cattin est architecte et assistant-doctorant au sein du Laboratoire d’architecture et technologies durables (LAST) de l’EPFL. Il est membre du projet de recherche «Reliefs urbains», initié par le Pr Emmanuel Rey.
Notes
1. Dave Lüthi, «Lavaux-Palace», Revue historique vaudoise, 2006
2. Plan partiel d’affectation «Le Carroz – en Baulet» de la commune de Chexbres, 2017
3. Christian Gilot, «La construction du sol», Trans – Publikationsreihe des Fachvereins der Studierenden am Departement Architektur der ETH Zürich, 2016, DOI : 10.5169/seals-918816. Christian Gilot développe ici l’argument que la connaissance construite par le dessin du site serait le début du projet et de son engagement avec les échelles et les cadrages. Elle est «l’invention du site».
4. La devise de la proposition de LVPH architectes s’intitulait «Les Grands Clos» lors du concours.
5. Les unités de vie sont les entités d’une vingtaine de chambres auxquelles se réfèrent les habitants.
6. Pierre Cauderay, «Les dernières nées des maisons de fin de vie», Tracés: bulletin technique de la Suisse romande, 21/2010