Le­bens­zei­chen

Werner Herzog, 1968

Premier long-métrage de Werner Herzog, «Lebenszeichen» raconte l'histoire d'un "conquérant de l'inutile" affecté à une mission de garnison sur l'île de Kos. Un film de guerre sans guerre qui, selon le collectif Silo, prend un sens particulier après la construction du mur de Berlin en 1961.

Date de publication
22-02-2013
Revision
19-08-2015

En 1968, Werner Herzog réalise son premier long-métrage Signes de vie (Lebenszeichen). S’inspirant d’une nouvelle d’Achim von Arnim, Der tolle Invalide auf dem Fort Ratonneau  (1818) transposée pendant la Seconde Guerre mondiale, le film consacre d’emblée un « conquérant de l’inutile», frère de Fitzcaraldo et de Cobra Verde. Stroszek est un jeune soldat de la Wehrmacht, stationné en Grèce pendant l’occupation. Blessé au cours d’un affrontement avec les partisans, il est affecté à une mission de garnison sur l’île de Kos en compagnie de sa femme Nora et de deux autres soldats convalescents, Meinhard et Becker. Stroszek et ses compagnons veillent sur un dépôt de munitions abandonné par l’ennemi dans une ancienne forteresse médiévale. Parmi les vestiges de colonnes et de statues antiques dispersés dans l’enceinte et servant au besoin à colmater les brèches des remparts, les sentinelles s’ennuient, frappées de torpeur par un soleil fixé au zénith. Il faut tuer le temps. Meinhard s’invente des adversaires: il chasse des blattes et hypnotise des poules. Becker déchiffre des inscriptions sur les stèles antiques: «le danger a été écarté (…), nous pouvons prendre la mer sans risque car nous avons éliminé les pirates. Les pillards et leur chef ont été pendus et nous avons même pendu leur chien.» Stroszek, impénétrable, confectionne des feux d’artifice avec le stock de poudre de l’arsenal ravi à l’ennemi. Par-delà les fortifications, la trêve fait illusion: les enfants jouent sur l’embarcadère, les vieillards parlementent aux terrasses des cafés et les chats dorment au soleil. 
Dans La Défense sans pareil de la forteresse Deutschkreutz (1967), un court-métrage que Werner Herzog réalise quelques mois plus tôt et qui préfigure largement Signes de vie, la voix-off prêchait ainsi: «L’ennemi qui abandonne celui qui se défend est un salaud»; «Qui n’a pas pris les armes en temps voulu n’aura pas d’ennemi.» La tournure est syllogistique, elle emprunte même explicitement à la logique de Don Quichotte… Stroszek séchant sur pied, son supérieur l’envoie en patrouille. Au sommet d’une colline, il découvre la vallée des dix mille moulins, vision qui le rend fou et achève de le convaincre, comme le chevalier de la Mancha avant lui, que «ce n’est pas parce que l’ennemi est hors de vue qu’il n’y a pas d’ennemi». Ainsi passe-t-il à l’acte, chassant ses compagnons de la forteresse et menaçant de faire exploser l’île tout entière : il tue un âne, mais contribue aussi au plus beau moment de l’histoire de la pyrotechnie au cinéma.
A la fin des années 1960, quelle est l’actualité de ce film de guerre sans guerre? De quel anachronisme cette forteresse est-elle le signe? Depuis 1961, un mur est dressé en travers de la ville de Berlin comme un fossile de l’architecture de guerre, fut-elle froide. Signes de vie ne parle pas d’autre chose: d’un faux congé donné à la guerre que d’inexpugnables murs rendent à nouveau visible. 

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