Le préfa, élé­ment terre

Date de publication
10-03-2024
Alia Bengana
Architecte DPLG, enseignante au laboratoire ALICE de l’EPFL et à l’HEIA-FR

En 1954, peu après le décès de Staline, Nikita Khrouchtchev surprend son auditoire avec un discours de trois heures vantant les multiples avantages de la construction en béton armé préfabriqué. Ce discours marque clairement une rupture avec les méthodes de construction staliniennes, jugées artisanales. Pour dépasser le système de préfabrication bois adopté massivement aux États-Unis, le balloon frame, Khrouchtchev impose l’emploi exclusif du béton préfabriqué pour tous les types de bâtiments. Son ambition est de rattraper et de surclasser les États-Unis… en sept ans.

Tout le bloc de l’Est est alors tapissé des mêmes bâtiments en béton armé préfabriqué et l’URSS va même jusqu’à offrir des usines de panneaux clé en main à Cuba et au Chili. Ces systèmes préfabriqués seront également reproduits chez les pays alliés de l’URSS, de la Mongolie à la Yougoslavie, en passant par l’Algérie et l’Afghanistan. Ces habitations, surnommées Khrouchtchoba en russe (une contraction de Khrouchtchev et de bidonville), deviennent le symbole du mal vivre aux côtés des cités dortoirs des grandes métropoles européennes.

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Sous nos latitudes, le béton préfabriqué a pris d’autres formes, élégantes ou frivoles, à partir de la fin des années 1970. Depuis les années 2000, il a même connu un étonnant renouveau auprès des architectes, qui le considéraient comme un produit haute couture, taillé sur mesure pour orner les façades des sièges de grandes entreprises.

Qu’en est-il aujourd’hui, face à l’injonction à construire de manière moins polluante et avec une consommation d’énergie réduite? Comment le «préfa» va-t-il se réinventer? C’est l’une des nombreuses questions que Francesco Marinelli a soulevées dans la récente exposition parisienne Hors-site (mais pas hors-sol), cas d’études à l’appui.

Ce dossier s’intéresse en particulier à la préfabrication en terre crue, un domaine en pleine effervescence en Europe. Des projets récents démontrent que la terre se fraie un chemin grâce à la préfabrication, tant sur site que hors site, avec des modules de plus en plus grands. Un entretien avec Martin Rauch, l’un des pionniers incontestés dans le domaine, et Martin Mackowitz, l’un de ses principaux chefs de projet, permet de revenir sur 30 années d’expériences et d’exposer les développements en cours. Nous irons, enfin, à la rencontre de Lehmag, une jeune entreprise suisse qui montre la voie en mettant en place une semi-industrialisation de proximité de modules de terre crue dans la région de Zurich.

Si les innovations en terre crue ou hybrides bois-terre sont encore onéreuses aujourd’hui, l’espoir d’une massification grandit chaque année, avec la monté en puissance des techniques et de la rapidité d’exécution. Il n’est pas question de créer de nouvelles Khrouchtchoba en terre, mais plutôt de s’orienter vers un réseau de production de type manufacture capable d’alimenter chaque région grâce à cette ressource abondante. Avec toutes ces expérimentations, pourquoi ne pas imaginer un plan pour rattraper et dépasser la construction traditionnelle, polluante et énergivore… en sept ans?

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