Le point sur la du­ra­bi­lité dans l’ad­ju­di­ca­tion des mar­chés pu­blics

Le Moniteur des adjudications, publié par l’association faîtière Constructionsuisse, la SIA et d’autres associations, analyse le ­changement de culture dans l’adjudication des marchés publics. Selon la troisième édition, qui passe en revue l’automne 2023, le secteur avance dans la bonne direction, mais encore trop timidement.

 

Date de publication
12-01-2024
Laurindo Lietha
BSc FHO Civil Engineering / DAS Economie de la construction, spécialiste Règlements/Marchés

Depuis trois ans, la Suisse dispose d’une nouvelle loi sur les soumissions, la loi fédérale sur les marchés publics (LMP), qui vise à encourager une utilisation durable des ressources financières. Désormais, un marché est adjugé à l’offre  la plus avantageuse» et non plus à l’offre «économiquement la plus avantageuse». Les aspects écologiques, économiques et sociaux sont tous pris en compte. Au niveau cantonal, l’accord intercantonal sur les marchés publics (AIMP) a défini les bases de cette transition; la quasi-totalité des cantons ont aujourd’hui rejoint ce concordat ou entamé la procédure d’adhésion en ce sens.

Ce changement de paradigme amorcé par la nouvelle loi reflète, d’une part, la demande sociétale croissante d’un aménagement durable de notre cadre de vie et constitue, d’autre part, un virage nécessaire et attendu pour le secteur des études et de la construction. Désormais, les bureaux d’études et les entreprises de construction peuvent mettre en avant la qualité de leur travail pour remporter des marchés, rompant ainsi avec la spirale du dumping qui a prévalu jusqu’à présent.

De la théorie à la pratique

L’entrée en vigueur de la nouvelle loi est un bon début, mais cela ne résout pas tous les problèmes. En effet, les grands services d’achat de la Confédération, notamment l’Office fédéral des routes (OFROU), l’Office fédéral de l’armement (Armasuisse) ou encore l’Office fédéral des constructions et de la logistique (OFCL), doivent désormais concrétiser ce tournant dans la pratique, tout comme les nombreux services d’achat des cantons, des villes et des communes. Réunies au sein de la Conférence de coordination des services de la construction et des immeubles des maîtres d’ouvrage publics (KBOB), ces entités adjudicatrices mandatent chaque année des prestations d’études et de construction pour un montant atteignant plusieurs dizaines de milliards de francs. Ces dernières années, la KBOB a, sur mandat du Conseil fédéral et en collaboration avec Constructionsuisse, la SIA et d’autres associations, adapté ses guides à la nouvelle législation et aux nouveaux objectifs.

La pratique est donc clairement définie sur le papier, mais la mise en œuvre au sein des différents services d’achat n’est pas centralisée et elle ne fait l’objet d’aucun contrôle dans le système fédéral suisse. Ainsi, chaque organisation élabore ses propres directives et développe ses propres pratiques.

Absence de vision commune pour les cantons

Afin de mettre en lumière la manière dont la pratique des marchés publics évolue – autrement dit la façon dont les services d’achat s’adaptent au nouveau cadre légal –, Constructionsuisse, la SIA, et d’autres organisations se sont associées à l’entreprise Politaris pour créer le Moniteur des adjudications. La troisième édition, publiée le 11 janvier 2024, se base sur plus de 90 000 publications enregistrées sur la plateforme d’appels d’offres simap entre janvier 2018 et fin septembre 2023. Après une période de stagnation en 2022, plusieurs indicateurs clés du changement de culture d’adjudication se sont timidement raffermis à partir de 2023, et de nombreux indicateurs démontrent une tendance légèrement positive.

Fin septembre, la part des critères d’adjudication qualitatifs atteignait 51.6 % en moyenne mobile annuelle dans toute la Suisse, soit une augmentation de 0.6 % par rapport au premier trimestre. La pondération de la qualité moyenne était de 42.9 % pour les prestations de construction, de 65.2 % pour les prestations d’ingénierie et de 67.4 % pour les prestations d’architecture.

Pour les procédures d’adjudication axées sur les prestations, le Règlement concernant la mise en concurrence pour le choix d’un prestataire SIA 144 prévoit généralement une pondération de la qualité de 75 à 80 %, tandis que la KBOB, dans son Guide pour l’acquisition des prestations de planification, recommande une pondération de 60 à 80 % pour les projets ou directions de travaux de complexité moyenne. Ces objectifs sont encore loin d’être atteints. Par ailleurs, un coup d’œil sur la carte révèle que les cantons ne partagent pas (encore) la même vision quant à l’importance de la qualité.

Augmentation des critères de durabilité

La part des critères de durabilité a connu une hausse nettement plus importante, de +17.8 % par rapport au premier trimestre 2023, pour atteindre 7 %. Cette augmentation est toutefois moins marquée qu’au même trimestre de l’année précédente (+30.6 %). Depuis le printemps dernier, les critères pour les prestations de planification ont enregistré la plus forte croissance, avec une augmentation de 35.3 % dans les marchés d’ingénierie et de 58.5 % dans les marchés d’architecture. Les critères d’adjudication «Innovation» (+63.5 %) et «Plausibilité de l’offre» (+25.1 %) affichent également une tendance à la hausse, bien que leur part reste relativement faible en moyenne mobile, avec respectivement 0.3 % et 0.7 %. Le critère «Fiabilité du prix» n’a quant à lui été pris en compte que trois fois au cours des deux derniers trimestres.

Les concours et les mandats d’étude parallèles en plein essor

L’usage des mandats d’étude parallèles et d’autres procédures de dialogue a connu une hausse significative de 22.6 %, avec une augmentation particulièrement marquée dans le secteur de l’architecture. Globalement, au troisième trimestre 2023, le recours à des concours a été moins fréquent qu’au premier trimestre de la même année. Toutefois, les concours portant uniquement sur les études ont augmenté, suggérant une tendance vers une organisation plus rare de concours de prestations globales. Les concours d’idées ont gagné en importance, et représentent 7.7 % de tous les appels d’offres pour les prestations d’architecture, tandis que les concours de projets atteignent 15.9 %.

Guide pour l’acquisition de prestations d’études

Afin d’aider les maîtres d’ouvrage à choisir la forme de mise en concurrence appropriée et à mener des procédures d’adjudication de qualité, la SIA a élaboré le Guide pour l’acquisition de prestations d’études (acquisition-prestations-etudes.ch), développé en collaboration avec Constructionsuisse, la Fédération des architectes suisses (FAS), l’Union suisse des sociétés d’ingénieurs-conseils (suisse.ing), et la Fédération suisse des architectes paysagistes (FSAP). À partir de mi-janvier 2024, en complément de l’outil de recommandation de la forme de mise en concurrence appropriée, une sélection d’exemples sera également disponible.

Moniteur des adjudications

 

Le monitorage des adjudications, ­initié par Constructionsuisse et soutenu par les associations membres, doit permettre de mesurer la mise en œuvre effective du changement de culture d’adjudication dans le secteur public. Le Moniteur des adjudications Automne 2023 peut être consulté sur le site web de Constructionsuisse.

Table ronde dans le cadre de Swissbau

 

Le 16 janvier 2024, à l’occasion du salon Swissbau à Bâle, Cristina Schaffner de Constructionsuisse et Laurindo Lietha de la SIA participeront à une discussion sur la mise en œuvre de la nouvelle législation sur les marchés publics en compagnie de Mario Marti de suisse.ing, Guido Biaggio de l’OFROU et Lorenz Held, architecte cantonal bernois. Ils se pencheront sur les questions soulevées par les résultats du Moniteur des adjudications: quelles étapes sont encore nécessaires avant de pouvoir réellement parler de marchés publics durables? Quels sont les outils actuels et ceux qui restent à développer?

 

-> Plus d’informations et pour s’inscrire (événement en allemand)

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