Le pa­vil­lon Gei­sen­dorf: né du sol ge­ne­vois

Porté par des murs en briques de terre, le bâtiment d’équipements publics de Geisendorf est littéralement issu du sol qui l’accueille. Il complète un dispositif scolaire inauguré en 1958, sous la forme de pavillons implantés entre les arbres de cet ancien domaine de la rive droite de Genève. Visite de bas en haut.

Date de publication
20-11-2019
Valérie Hoffmeyer
journaliste, architecte paysagiste et correspondante régulière pour Tracés.

Creuser une fouille, évacuer les matériaux d’excavation, construire. Dans ce phasage ordinaire de la construction, le pavillon Geisendorf a fait l’économie de la deuxième étape. La terre est restée sur place, où elle a été transformée en blocs de terre crue compressée.

Pour la première fois en Suisse, c’est ce matériau plus que local qui compose les quatre murs porteurs, disposés en moulin à vent au centre du pavillon. Dessous, dessus et autour, une structure mixte en bois et béton réplique ce patio fondateur. Un dispositif qui assure le lien entre sol et ciel, puisqu’il est aussi un puits de lumière qui émerge de la toiture en aluminium. 

«Ce choix de la terre ne faisait pas partie du projet lorsque nous avons gagné le concours en 2012, mais il y avait une volonté d'avoir des murs en maçonnerie pour assurer une inertie thermique en contrepoint d'une structure légère en bois», relève David Reffo. L’architecte lauréat s’est pris de passion après coup pour ce matériau, qui lui a pourtant fait passer «des moments difficiles» tout au long des trois ans de ce chantier plutôt expérimental. «C’est la terre de sous-couche qui est utilisée par les gens de Terrabloc, à l’origine de ce produit: de l’argile caillouteuse broyée, additionnée de 5% de ciment et d’eau, détaille-t-il. Ces 110 m3 de matériau en place ont permis de mouler 22 000 briques de 30 x 14 x 9 cm. Même les joints contiennent de la terre, mélangée à du sable, du ciment et de la chaux.»

Calme et lumière à l’intérieur 
Des tests de résistance à la compression ont été menés à l’EPFL, avant de lancer la production directement sur place, avec une machine d’une désarmante simplicité, capable de produire entre 800 et 1000 briques par jour. « On les a mises à sécher sur un ancien préau désaffecté, sous cellophane, de septembre à janvier. Il a fallu quatre mois de séchage pour obtenir la résistance structurelle voulue. Cela nous a permis de lancer une soumission bis pour décrire la nouvelle combinaison de matériaux, terre, bois, béton », explique David Reffo. Les enfants de l’école ont pu participer à la fabrication des briques en juillet et août 2017.

Distribués autour de ces pans de murs en terre, les espaces intérieurs dégagent une grande simplicité. Le terrazzo au sol, avec ses agrégats de calcaire de La Sarraz, est le seul motif dynamique du bâtiment. « Il est une évocation des liens forts entre Genève et le Jura, surtout rive droite, relève l’architecte. Tout le reste est assez calme. » La diversité des textures et les tons naturels participent à l'atmosphère douce et lumineuse qui baigne les espaces collectifs du rez et des salles à l’étage. Compensent-ils la perte du caractère domestique de l’ancienne villa – détruite – qui hébergeait les activités parascolaires ? Lors du concours, la Ville avait laissé le choix de la maintenir ou pas. Aucune des équipes candidates ne l’a gardée.

Besoin de temps 
Cette expressivité des matériaux et de la lumière, mais aussi la sensation de fluidité entre le dedans et le dehors, sont moins perceptibles de l’extérieur. Le rôle structurel des différents éléments composant les quatre façades en lignes brisées, presque identiques, se lit avant toute autre interprétation. Ainsi des larges murs pignons (charges horizontales) et des poteaux de mélèze qui composent les façades, de 16 cm de large sur 6 m 50 de haut et 64 cm de profondeur (charges verticales). « On ne peut pas faire plus élancé en bois », explique David Reffo. 

Si l’aire d'implantation était bien sûr définie par le programme, il fallait résoudre la question de l’insertion du nouveau venu dans la subtile articulation de cette école à pavillons multiples, en acier, pierre et brique, dispersés avec courtoisie entre les arbres du parc par le duo Paul Waltenspühl et Georges Brera à la fin des années 1950. Dépourvu de front ou d’arrière, le pavillon Geisendorf s’affirme comme une rotule, utile à la fois à l’école et au quartier – il abrite le restaurant scolaire et le parascolaire, des salles de musique au sous-sol et des locaux pour les jardiniers de la Ville. Il se distingue en cela du caractère plus intériorisé des pavillons d'origine, conçus de manière à obéir d'abord à la loi du parc et de sa végétation. Cette volonté d'ouverture est renforcée par la réhabilitation d’une entrée et d’un cheminement au nord de ce petit campus scolaire, déjà prévu dans le projet d’origine mais jamais mis en œuvre. La prochaine requalification de cette partie du parc, par le paysagiste Klaus Holzhausen, prévoit la plantation de 35 arbres. Elle sera achevée au printemps 2020. 

Reste encore l'épineuse question de la toiture. Cet élément-clé du projet, censé dialoguer avec celles à pans multiples et très expressives de Waltenspühl et Brera, est encombré de 170 panneaux solaires entourant l’excroissance du puits de lumière et le monobloc de ventilation. À cette critique, l’architecte répond qu’il considère ces éléments techniques comme transitoires, assimilables à du mobilier. « Ils risquent de changer avec l'avancée des technologies. Le bâtiment doit pouvoir absorber ces évolutions sans être atteint dans son intégrité. » Sage attitude pour un pavillon issu de la terre de son site et qui, comme un projet de paysage, a besoin d'un deuxième temps pour se réaliser. Un temps qui va bien au-delà de celui du chantier.

Pavillon Geisendorf – équipements publics, transformation d'aménagements extérieurs.

  • Réalisation: 2017–2020
  • Maître d’ouvrage : Ville de Genève – Département des constructions et de l’aménagement, Direction du patrimoine bâti
  • Architectes : David Reffo architecte sàrl
  • Architecte-paysagiste : Klaus Holzhausen
  • Dir. des travaux : Girani & Perrillat architectes Sàrl
  • Ingénieurs civils : Ratio Bois - ingénieurs HES spécialistes Sàrl, Studio Guscio Sàrl, Normal Office Sàrl
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