Le lo­ge­ment de la classe la­bo­rieuse

Dans "Poor Cow", Ken Loach raconte l'histoire de Joy, jeune femme qui évolue dans les anciens quartiers populaires du sud-ouest de Londres.

Date de publication
27-02-2014
Revision
13-10-2015

En 1842, le jeune Friedrich Engels est envoyé par sa famille travailler dans une filature de coton à Manchester et y découvre les difficiles conditions de vie des ouvriers. Dans l’ouvrage que lui inspire ce séjour – La situation de la classe laborieuse en Angleterre, 1845 –, il décrit longuement les taudis sordides et insalubres où s’entasse la masse anonyme qui constitue la working class britannique. Le problème du logement est déjà bien connu et il hantera durablement les gouvernements de Sa Majesté : ce n’est qu’en 1919 que l’Etat se substitue aux philanthropes et à la bonne volonté des municipalités, en promulguant un Housing and Town Planning Act qui l’oblige à assurer le logement de millions de Britanniques. Des Britanniques telle Joy, l’héroïne contradictoire du kitchen-sink drama que Ken Loach signe en 1967. 
A la manière d’une docu-fiction (voix-off à la première personne, cartons et entretiens, inserts documentaires, etc.), Poor Cow nous offre, sans moralisme ou complaisance, un aperçu de la vie et des amours de Joy, cette dernière évolue dans les anciens quartiers populaires du sud-ouest de Londres, où subsistent encore des anciennes maisons surpeuplées, habitées de la cave aux combles, et où les rues servent d’étendoir pour le linge. Les projets de l’Etat-providence battent alors leur plein : à côté des ruines fumantes d’un passé de misère s’érigent des cités HLM flambant neuves, dans le plus pur style brutaliste. Si le Winstanley Estate que Joy traverse à un moment n’est pas encore le haut lieu du trafic de drogue qu’il est devenu entre-temps, il est difficile de ne pas reconnaître dans l’exercice réaliste de Loach une critique des conditions de vie. Si Joy est sans doute victime de ses choix, elle l’est aussi de sa classe et de son genre. Comme son mari le lui explique, l’accès au logement, social ou non, reste sous l’emprise du marché (plus tard, Joy n’hésitera pas à offrir son corps en échange d’un logement plus « chic »). Ironie du destin, la Battersea Power Station, dont on reconnaît la silhouette iconique à l’écran, est aujourd’hui en passe de devenir un projet résidentiel de luxe. 

Le blog du Silo

 

 

Poor Cow

Film de Ken loach présenté le 29 avril à la Cinémathèque suisse à Lausanne et le 30 avril aux Cinémas du Grütli à Genève, dans le cadre du cycle de projections L’architecture à l’écran organisé en partenariat avec la Maison de l’Architecture.

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