La toile d’araig­née

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"La toile d'araignée" de Vincente Minnelli, ou comment prendre pour prétexte l'aménagement intérieur d'une clinique psychiatrique pour parler de l'intime

Date de publication
02-10-2014
Revision
25-10-2015

Ce film de Minnelli, sorti en 1955, raconte une histoire de rideaux, d’aménagement intérieur. L’action se situe dans une clinique psychiatrique. Dirigée par un psychiatre récemment recruté, cette dernière repose sur un fonctionnement ouvert, autonome : les patients et les médecins dirigent conjointement l’institution, au gré de réunions et de comités qui décident des règles du quotidien. C’est tout l’enjeu du film : décrire les conditions d’un dialogue démocratique au sein d’une assemblée d’abord définie par les pathologies et les maux qui, forcément, la traversent. Ce dialogue nous est présenté comme complexe à établir, chaotique, utopique parfois. Jubilatoire surtout, car ces échanges et leurs conséquences produisent du flou : progressivement, la frontière entre médecins et patients ne s’avère pas si aisée à établir. Le film choisit de s’attacher à une intrigue a priori « décorative », une histoire de rideaux, qui va servir de motif à l’inversion des rôles, ou en tout cas contribuer à leur indistinction temporaire. 
La bibliothèque de la clinique a besoin de nouveaux rideaux. C’est autour de ce projet de réaménagement que différents scénarios vont entrer en conflit. L’administratrice de la clinique, incarnée par Lillian Gish, commande d’abord des rideaux au fournisseur local. Obsédée par les restrictions budgétaires, elle choisit un modèle peu onéreux et sans ambition esthétique. De son côté, l’épouse du psychiatre en chef, délaissée par un mari immergé dans le travail, fait appel à une amie de Chicago qui lui commande une paire de rideaux dernier cri. Il s’agit là pour elle de parvenir à mettre un pied dans la porte de la clinique dont elle se sent exclue. Enfin, sur une proposition d’un autre membre de l’équipe, incarné par Lauren Bacall, le directeur décide que les patients réaliseront eux-mêmes ces rideaux – dans la continuité du fonctionnement de la clinique qui favorise autant la libre expression de chacun que l’engagement collectif dans un projet. 
Les conflits qui résultent de ces scénarios irréconciliables permettent de sentir toute la singularité des intentions de Minnelli : démontrer à quel point la sphère publique, ou plus précisément la sphère professionnelle, ne peut être saisie que par le biais de la sphère privée – qui serait, somme toute, la plus « politique » de toutes. La clinique est un décor sans cesse traversé par des affects, par le dehors, par la vie domestique et intime de ceux qui y travaillent. Son aménagement ne peut qu’être à son tour soumis à ces mouvements. Prétextes, les rideaux servent à transformer ces affects en occasions de dialogues, qui affrontent, chacun très différemment, les conditions d’une vie collective que les soubresauts intérieurs de chaque participant viennent colorer.

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