La Stra­té­gie de l’araig­née

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Les chercheuses du Silo évoque un film réalisé par Bernardo Bertolucci en 1970 qui prend pour décor la ville de Sabbioneta. La localité italienne est l'un des seuls exemples d'une « cité idéale » réellement construite.

Date de publication
04-09-2013
Revision
06-10-2015

Longuement décrite dans les livres et dessinée parfois avec minutie, la « cité idéale » chère aux artistes et philosophes de la Renaissance est rarement passée du stade de modèle imaginaire à celui de réalisation concrète. Parmi les rares exemples où la théorie s’est essayée à la pratique, on compte la ville de Sabbioneta, dans la plaine du Pô, avec son plan en damier à la géométrie rigoureuse. Rêvée par le condottiero et humaniste Vespasien de Gonzague (1531-1591), la petite ville en forme d’étoile fut, un temps, la capitale d’un duché débordant de vie, accueillant, entre autres, une académie d’humanités et un « théâtre olympique à l’antique ». Dessiné par Vincenzo Scamozzi (1548-1616), ancien élève de Palladio, celui-ci fut le premier théâtre moderne, le monument symbolisant mieux qu’aucun autre le statut purement scénographique de la ville. 
C’est dans une Sabbioneta renommée Tara – à l’instar de la grande plantation de coton d’Autant en emporte le vent (Victor Fleming, 1939) – qu’arrive un jour Athos Magnani (Giulio Brogi). Convié par l’ancienne maîtresse de son père (Alida Vali), il enquête sur l’assassinat de cette mystérieuse figure paternelle, héros antifasciste tué en 1936, et dont la présence hante irrémédiablement les lieux. Filmés avec d’amples mouvements de caméra, les paysages de la plaine padane et les décors monumentaux de Sabbioneta surgissent, aux yeux du spectateur, teintés d’une inquiétante étrangeté qui tantôt prend la couleur verte des feuillages, tantôt le lavis bleu de l’atmosphère. Cette ville inouïe où la géométrie a voulu s’imposer à la géographie ressemble, dans le film de Bertolucci, à une collection de tableaux de De Chirico ou de Magritte. Le cinéaste dit l’avoir tourné dans un état de transe proche du rêve. 
Rythmé par des flashback qui constituent autant de fils dans une toile d’araignée complexe, le film de Bertolucci s’appuie sur la géométrie rectiligne et énigmatique de Sabbioneta. S’il y est question d’explorer les couches enfouies du passé (et d’apprendre la terrible vérité sur son père), les envoûtants mouvements de caméra et la mise en scène soigneuse fonctionnent comme une façon de révéler les différentes dimensions d’un « inconscient » à la fois narratif et spatial. 

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