A la re­cherche d'une éner­gie nou­velle

Choc pétrolier, catastrophes nucléaires, quelles sont les pistes pour l'après-pétrole et l'après-nucléaire?

Sur fond de crise climatique, notre société post-moderne énergivore doit concevoir à brève échéance le monde de l’après-pétrole et de l’après-nucléaire. En comparaison, même la quadrature du cercle paraît un jeu d’enfant. Pourtant, des pistes existent.

Date de publication
03-01-2012
Revision
19-08-2015

Avec un baril de brut qui oscille depuis deux mois aux alentours des 115 dollars, le prix à la pompe a lui aussi pris l’ascenseur : 1,90 francs par litre, soit une addition qui grimpe pour faire le plein. Pourtant, nous ne nous préoccupons que rarement des conséquences directes de notre achat. Fait curieux : pour quel autre produit accepterions-nous de sortir pareille somme sans jamais nous interroger sur sa provenance ?
De son lieu d’extraction jusqu’à son utilisation sous forme d’énergie dans le moteur à combustion interne, jusqu’à l’évaporation par l’émission de CO2, le pétrole est invisible, quasi immatériel. Le diesel qui coule de nos pompes provient de différents pays, mais les statistiques d’importation tenues par l’Union pétrolière suisse nous permettent de constater qu’en 2010, la majeure partie du mélange servi dans nos stations-services est constitué de bruts du Kazakhstan et d’Azerbaïdjan. Il n’y a pas si longtemps, les Suisses consommaient surtout du pétrole libyen, mais voilà : Berne s’est fâchée avec Kadhafi avant même que ce dernier ne se fâche avec son propre peuple, et déclenche une guerre civile dans son désert de Cyrénaïque – ce qui a aussi contribué à l’envolée des prix du brut. A chaque fois qu’un Suisse fait le plein, il enrichit donc le Kazakh Noursoultan Nazarbaïev, authentique satrape des steppes, l’homme qui règne depuis bientôt trois décennies sur la plus grande des ex-républiques soviétiques d’Asie Centrale. Il enrichit de la même façon Ilham Aliev, le potentat de Bakou, en Azerbaïdjan, la république pétrolière des bords de la Caspienne. Faire le plein, remettre la pompe : voilà un transfert de fonds en direction de deux pétrocrates liberticides. Et pourtant, ça continue.
La Suisse, cruellement dépourvue des matières premières qui permettent de produire de l’énergie, doit – comme la grande majorité des pays européens – importer la totalité de son pétrole et de son gaz. Et même l’électricité dépend très souvent de l’étranger. Les 40 % de courant d’origine nucléaire ne sont en effet « nationaux » que si l’on décide d’oublier la provenance (Niger, Kazakhstan encore, Canada, Australie) de l’uranium qui permet aux centrales de fonctionner. 
Gavées d’hydrocarbures (pour le transport et souvent pour le chauffage) et d’électrons (pour tout le reste), nos sociétés n’ont jamais réfléchi aux limites de cette croissance effrénée des besoins énergétiques. Mais la planète a des limites. Si chacun des huit milliards d’humains devait, un jour prochain, accéder au lifestyle occidental plébiscité comme modèle unique du bonheur, il nous faudrait huit Terres. Hélas nous n’en avons qu’une. Hélas, il faudra partager. Ou, au mieux, modérer la consommation. Ou encore, imaginer d’autres sources d’énergies. 
Nous sommes entrés dans une période d’incertitude, voire de grands périls énergétiques. Les rapports de force qui en découlent, les tensions, les guerres qu’ils engendreront ou ont déjà engendrées, peuvent constituer une nouvelle grille de lecture de la complexité du monde. Elle est venue progressivement se substituer à l’antienne bipolaire du temps de la guerre froide et des idéologies. L’émergence de nouveaux acteurs comme la Chine – bientôt première puissance mondiale – a rendu indispensables la conquête et la maîtrise des matières premières, à commencer par le pétrole. Longtemps seuls à cette échelle sur le terrain de jeu planétaire, les Etats-Unis doivent désormais composer avec Pékin. Pour tous les autres Etats, Suisse comprise, l’enjeu est le même : assurer la sécurité énergétique, diversifier les sources d’approvisionnement, limiter la dépendance énergétique. Ce vocabulaire est le nouvel évangile de la diplomatie. Or la marge de manœuvre de cet exercice périlleux s’articule désormais sous l’empire d’un triple choc aussi simultané qu’inédit.

Choc de la production 

Les hydrocarbures comme les autres matières premières extractibles n’ont été « fabriquées » qu’une seule fois, dans des temps géologiques vieux de plusieurs centaines de millions d’années. Chaque baril extrait nous rapproche inéluctablement de l’épuisement des réserves disponibles. Pire, des doutes commencent à apparaître sur l’étendue réelle de celles-ci. Les « câbles » de Wikileaks recelaient une information qui circule depuis un certain temps dans les milieux spécialisés : les Saoudiens mentent. Ils ne disposeraient pas, ou plus, de 261 milliards de barils en sous-sol, estimation communément admise depuis une éternité. Des réserves qui ne diminuent jamais, alors que le pays extrait près de dix millions de barils par jour, et qu’il n’a pas, depuis longtemps, annoncé de nouvelles découvertes significatives. Considérée comme le régulateur du marché, comme la « banque centrale du pétrole mondial », l’Arabie Saoudite ne sera peut-être bientôt plus en mesure d’absorber les baisses de production des autres pays pétroliers – comme c’est le cas actuellement avec la Libye, où un million de barils manquent à l’appel depuis le début de la guerre.
Les révolutions arabes et l’instabilité du Moyen-Orient, premier bassin mondial d’hydrocarbures, sont venus rappeler début 2011 qu’une rupture massive des approvisionnements en provenance de cette région reste une possibilité. Certes, de nouveaux territoires pétroliers apparaissent ici et là (Caspienne, Golfe de Guinée, Arctique) ; certes les progrès technologiques de l’exploration et de l’extraction (forages horizontaux ou forages offshore en eaux ultra-profondes) devraient permettre d’alléger les tensions. Certes, de nouveaux pétroles non-conventionnels (comme les sables bitumineux de l’Alberta, au Canada) font saliver les majors du pétrole. Mais leur coût de production – et leur facture climatique lamentable – les pénalisent lourdement. Le pétrole n’est pas encore mort, mais le pétrole va mourir. Tous les scénarios indiquent en effet que les émissions de gaz carbonique qui lui sont imputées (comme celles du gaz, à peine moins importantes), devront être réduites massivement si l’on entend respecter les engagements pris en haut lieu. L’Union européenne par exemple vise une réduction de 20% des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2020, par rapport au niveau de 1990. 

Fukushima mon amour

Puis, la catastrophe de la centrale nucléaire nippone, la pire depuis Tchernobyl en avril 1986, a effacé d’un seul coup la renaissance annoncée de l’atome civil. Dans les pays où l’opinion publique a le droit de s’exprimer, l’affaire paraît entendue : le nucléaire a vécu. Une semaine à peine après le début de la défaillance en série des réacteurs japonais, un sondage indiquait que 83% des Suisses souhaitent désormais sortir du nucléaire. En moins de deux mois, le gouvernement fédéral a passé par-dessus bord une politique de bienveillance face à l’atome remontant à quatre décennies. L’Allemagne, dirigé par une Chancelière de droite en théorie acquise aux électriciens, a fait de même, de façon plus radicale encore : en 2022, plus aucun réacteur nucléaire ne tournera outre-Rhin. 
A l’heure actuelle, deux nouveaux réacteurs de type EPR (dits « de troisième génération ») sont en construction en Europe. Tous deux sont l’œuvre de la compagnie française Areva, leader mondial du secteur. En 2007, sur le chantier OL-3 à Olkiluoto, en Finlande, des ouvriers polonais – recrutés par un sous-traitant pour les travaux pénibles à faible technicité – coulaient des dalles de béton sous ce qui allait devenir l’enceinte de confinement du plus puissant réacteur nucléaire jamais conçu. Accusant un retard énorme, le chantier n’est toujours pas terminé. Mais le climat, chez Areva, était alors à l’optimisme et le nucléaire, solution du passé, était présenté comme celle de l’avenir, parée de toutes les vertus vertes imaginables : pas ou peu d’émission de CO2, bon marché et surtout… très sûre. Le site finlandais servait de vitrine à l’industrie nucléaire et des visiteurs du monde entier se précipitaient aux portes du guichet de sécurité pour aller constater sur place comment Areva allait répondre à l’explosion des besoins en électricité aux quatre coins de la planète. C’était l’époque où le président français Nicolas Sarkozy promettait des centrales nucléaires clés en mains au Maroc, aux Emirats Arabes Unis... et même à Kadhafi ! La catastrophe japonaise aura au moins eu un mérite, si l’on ose s’exprimer ainsi : celui d’ouvrir, enfin, le débat sur l’énergie de demain. 

Le boulevard vert

Avant d’aborder le chapitre des énergies renouvelables, il convient de rappeler qu’un bel avenir est promis au plus ancien, au plus abondant et au plus toxique des délinquants climatiques : le charbon. Aux Etats-Unis, il assure encore plus de la moitié de la génération d’électricité. En Chine, c’est 80%. Dans l’Empire du milieu, on greffe chaque semaine une nouvelle centrale thermique à charbon sur le réseau. Seule l’Europe, pour l’instant, a réussi à s’affranchir de l’encombrante tutelle de cette source d’énergie. Le charbon a, il est vrai, quelques avantages : des réserves quasi illimitées, situées là où elles sont consommées. Mais il reste sale, même si l’on commence à évoquer la captation du CO2 à la source – pendant la combustion – avant son enfouissement sousterrain (la technique du CCS, pour carbon capture and storage). Toutefois, cette technologie est encore beaucoup trop chère pour être viable commercialement. De plus, elle ne fait que repousser le problème : comme pour le nucléaire, on enterre les déchets pour les transmettre aux générations futures. 
Dans cette optique, un boulevard s’ouvre désormais pour les énergies renouvelables. Ces dernières années, l’éolien et le solaire (photovoltaïque ou à concentration) ont connu un essor phénoménal dans les pays qui ont su articuler cette conversion autour d’une politique industrielle dynamique, créatrice d’emplois. En Allemagne, au Danemark, en Espagne et au Portugal, les quatre champions européens en la matière, de 25 à 50 % de la production d’électricité sont désormais assurés par de l’énergie renouvelable. De nouvelles installations apparaissent à une échelle inédite, nous en présentons plus loin (voir article "Les cathédrales vertes de demain). 

 

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