La pra­tique des mar­chés pu­blics sous la loupe

Deux ans après l’entrée en vigueur du nouveau droit des marchés publics, il est temps d’évaluer son application dans les appels d’offres du secteur public. Le moniteur des adjudications de Constructionsuisse fournit aujourd’hui de premières pistes de réponses.

Date de publication
13-07-2023

Depuis début 2021, un nouveau droit des marchés publics est en vigueur en Suisse. À la suite de la révision totale de la loi fédérale sur les marchés publics (LMP) et de sa concrétisation dans l’ordonnance (OMP), le secteur de la conception s’attendait à un recul des critères de prix au profit des critères de qualité. C’est dans ce contexte que de nombreuses associations et fédérations professionnelles – dont la FAS, la FSAP, la FSU, la SIA, suisse.ing, le CRB et Swiss Engineering UTS – ont formé une alliance pour renforcer l’importance des critères de qualité et de durabilité dans le cadre de l’adjudication des marchés publics. L’existence même de cette alliance vraisemblablement sans précédent témoigne de l’impact significatif de cette nouvelle loi pour le secteur.

Cet engagement a permis des modifications majeures, telles que la révision de l’article relatif à l’adjudication («Le marché est adjugé au soumissionnaire ayant présenté l’offre la plus avantageuse.»), l’introduction de nouveaux critères d’adjudication dans la législation (p. ex. «développement durable» ou «plausibilité de l’offre»), l’obligation d’examiner les offres présentant un prix anormalement bas, ainsi que la possibilité d’engager une procédure de dialogue pour les prestations intellectuelles.

Depuis la mise en œuvre de la nouvelle législation sur les marchés publics, il revient maintenant aux entités adjudicatrices de l’utiliser comme un levier pour promouvoir des marchés publics de qualité – une démarche soutenue par la révision, en parallèle, de l’Accord intercantonal sur les marchés publics (AIMP), qui met en œuvre les dispositions du droit des traités internationaux pour les marchés publics des cantons, des communes et autres collectivités assumant des tâches cantonales ou communales et garantit l’harmonisation des règles d’adjudication sur le marché intérieur. Aujourd’hui, à quelques exceptions près, la majorité des cantons ont rejoint ce concordat ou sont en cours de procédure d’adhésion.

La nouvelle loi en pratique

En conséquence, les modifications de la législation devraient se faire ressentir dans la pratique d’adjudication des offices fédéraux, des cantons et des communes. Dans cette perspective, Constructionsuisse, l’association faîtière de l’industrie de la construction suisse, a lancé avec ses associations membres un monitorage des marchés publics. En collaboration avec Politaris, entreprise spécialisée en services informatiques et prestations de conseil, l’association faîtière a développé une plateforme numérique chargée de récupérer les données relatives aux acquisitions publiées sur simap.ch, le système d’information sur les marchés publics, et de les transformer en indicateurs statistiquement exploitables. L’objectif est de fournir un aperçu trimestriel de l’évolution des marchés publics.

Constructionsuisse a ainsi publié en novembre 2022 la première édition du «Moniteur des adjudications du secteur suisse de la construction». Ce rapport analyse de manière générale les évolutions concernant la définition et le poids des différents critères d’adjudication, ainsi que le choix du type de procédure depuis l’entrée en vigueur de la loi fédérale révisée. Pour chacun des dix indicateurs sélectionnés (cinq critères d’adjudication et cinq types de procédure), une analyse agrégée des appels d’offres a été réalisée par catégories de branches (construction, architecture et ingénierie) et niveaux politiques (Confédération, cantons et communes).

Comment déjouer les pièges du fédéralisme?

En raison des divergences mentionnées précédemment en matière d’obligations relatives aux marchés publics – la LMP et l’OMP étant déterminantes pour les services d’achat de la Confédération, tandis que les cantons et les communes sont soumis à leurs propres législations ou à l’AIMP –, les résultats du premier moniteur d’adjudication étaient pertinents uniquement pour les marchés publics fédéraux. Afin d’analyser de manière adéquate l’évolution de la pratique des marchés publics cantonaux, il était donc nécessaire de développer davantage le modèle de données utilisé. À cet effet, les données simap ont été ventilées par cantons en prenant en compte la date de l’entrée en vigueur de l’AIMP. De plus, l’objectif était d’assurer une comparabilité entre les catégories de branches et les niveaux politiques, tout en introduisant une variable de fiabilité statistique des résultats.

Ces éléments pouvant paraître très théoriques de prime abord ont été mis en œuvre dans le cadre de la deuxième édition du moniteur des adjudications, et cette procédure sera à l’avenir répétée tous les trimestres. Le moniteur présente l’analyse des données simap sous forme de graphiques et livre, à travers des statistiques exemplaires, une analyse des tendances des indicateurs observés.

Dans l’édition actuelle du moniteur (tout comme dans la première déjà), l’évolution de cinq critères d’adjudication et de cinq procédures a été examinée: les critères de qualité, de durabilité, les critères «Innovation», «Plausibilité de l’offre» et «Fiabilité du prix», ainsi que la possibilité d’exclure des variantes, le recours à la procédure de dialogue, le concours de projets, le concours d’idées et le concours de prestations globales.

Conclusions intermédiaires

En substance, les observations faites jusqu’à présent indiquent que la révision de la loi pourrait avoir des conséquences sur la pratique des marchés publics aux différents niveaux politiques. Pourtant, les tendances positives initialement observées sur les indicateurs en matière de concurrence pour la qualité ont aujourd’hui en grande partie à nouveau faibli. Ainsi, bien que la part de critères qualitatifs sur l’ensemble des marchés publics ait légèrement augmenté depuis l’entrée en vigueur de la révision au niveau fédéral, ce taux stagne aujourd’hui, voire a même diminué dans certaines catégories de branches et à certains niveaux politiques.

Des développements inattendus du même genre sont constatés quant à la part de critères de durabilité. Dans ce contexte, la somme de l’ensemble des marchés publics affiche également une évolution positive, mais certaines branches ou certains niveaux politiques présentent cependant des tendances surprenantes. Ainsi, la part de critères de durabilité pour les marchés d’architecture de la Confédération a par exemple connu une augmentation immédiate après la révision, passant de pratiquement 0% à plus de 40%, mais elle est aujourd’hui retombée à seulement 20%. Une observation encore plus étrange a été faite dans le canton d’Argovie, où la place accordée aux critères de durabilité est aujourd’hui encore moins importante qu’en 2019 – soit bien avant la révision.

Des évolutions similaires, dites en forme de cloche, sont également constatées pour les critères «Innovation» et «Fiabilité du prix» ainsi que pour le recours à la procédure de dialogue. Les causes de ces évolutions peuvent être diverses et ne pourront être expliquées – pour autant qu’il y ait une explication – que par des observations ultérieures. En revanche, l’usage accru du critère «Plausibilité de l’offre» à tous les niveaux politiques et dans toutes les branches depuis l’entrée en vigueur de la révision est un signe encourageant pour la concurrence en matière de qualité.

Le monitorage des procédures appliquées et des principes de procédure met également en lumière une certaine hétérogénéité dans leur application. Ainsi, à tous les niveaux politiques, la possibilité d’exclure des variantes, depuis peu inscrite dans la loi, a davantage été utilisée. À l’inverse, les concours de projets sont de manière générale moins présents dans les marchés d’architecture depuis la modification de leurs dispositions légales dans le cadre de la révision. En parallèle, les concours d’idées et les concours de prestations globales sont davantage utilisés dans les appels d’offres, tout du moins à certains niveaux politiques. Il convient toutefois de noter que la qualité du modèle de monitorage (autrement dit, sa fiabilité statistique) des différentes procédures de concours ne permet de fournir que peu de résultats pertinents pour la plupart des catégories de branches et niveaux politiques évalués.

Perspectives

Bien que les constatations effectuées ne fassent pas l’objet d’analyses plus poussées, le «Moniteur des adjudications du secteur suisse de la construction» fournit un aperçu représentatif de la pratique d’adjudication en Suisse. À l’avenir, il sera intéressant de poursuivre l’observation des tendances relevées et d’en chercher les causes. Dans cette optique, notre maison d’édition s’associe à la SIA (en tant que membre de Constructionsuisse) pour lancer une série périodique qui résumera et commentera les observations les plus pertinentes du moniteur des adjudications. Nous accorderons en outre une attention particulière à certains phénomènes observés, et les approfondirons dans des rapports complémentaires.

Moniteur des adjudications du secteur suisse de la construction

Le monitorage des adjudications, initié par Constructionsuisse et soutenu par ses associations membres, mesure la mise en œuvre effective du changement de culture d’adjudication à l’aide d’une analyse continue et globale des données de la plateforme d’appels d’offres simap.ch. Les résultats seront publiés dans un rapport trimestriel intitulé «Moniteur des adjudications».

Cette compilation d’informations objectives vise à sensibiliser tant les entités adjudicatrices que les soumissionnaires aux changements introduits par le nouveau droit des marchés publics.

constructionsuisse.ch/fr/vergabemonitor

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