La Grotte des rêves per­dus

Werner Herzog, 2010

Dans son long métrage «La Grotte des rêves perdus», Werneg Herzog entraîne le spectateur au cœur de la Grotte de Chauvet-Pont-d’Arc. Elle contient les œuvres d'art rupestre les plus anciennes connues à ce jour, nous rappelle Le Silo.

Date de publication
26-02-2013
Revision
01-09-2015

La première image qui nous parvient de l’intérieur de la caverne est celle d’un tunnel incliné – nous sommes au début de La Grotte des rêves perdus, film de Werner Herzog réalisé en 2010. Munis de casques et torches dans cet espace exigu, les membres de l’équipe de tournage se font forcément visibles dans le cadre.
A l’autre bout du passage étroit et sombre, ils retrouveront d’immenses stalactites et stalagmites, des restes pétrifiés de mammifères de la période glaciaire et une incroyable collection de peintures d’animaux réalisées il y a plus de 30 000 ans. Située en Ardèche, dans le sud de la France, la Grotte de Chauvet-Pont-d’Arc contient les œuvres d’art rupestre les plus anciennes connues à ce jour. Leur étonnant état de conservation est dû à l’effondrement du plafond de son entrée principale, maintenant la caverne scellée pendant 20 000 ans, jusqu’en 1994, année de sa découverte par une expédition privée. 
Merveilleusement dessinés, le bison à huit pattes, le rhinocéros aux multiples cornes et la série de chevaux empilés semblent en mouvement ; leurs contours renvoient aux films d’animation, « une forme de proto-cinéma », selon les mots du réalisateur. Grâce aux caméras adaptées par le directeur de la photographie Peter Zeitlinger, le film nous permet une vision en trois dimensions. Ainsi, les spectateurs observent les animaux comme, peut-être, les habitants originels de la grotte l’ont fait. Le relief des parois donne volume à leurs corps, impression accentuée par l’éclairage irrégulier (celui du film comme celui des feux préhistoriques). Herzog coud son film avec le fil des hypothèses et l’aiguille de l’imagination. Pour comprendre l’harmonie entre deux couches de peinture réalisées à 10 000 ans d’écart, ainsi que l’intrigant dessin d’un corps de femme mélangée à celui d’une bête, le réalisateur interroge la façon dont rêvaient les hommes préhistoriques, ainsi que les rêves faits par les chercheurs, après une journée de travail dans la grotte. L’univers de la science et celui de la poésie se confondent par un jeu de questions provocantes et drôles. 
Dans l’économie du documentaire, le majestueux Pont d’Arc, au-dessus de la rivière Ardèche, semblerait répondre au tunnel étroit et sombre qui sert d’entrée à la grotte. Pont naturel sculpté par la double action de l’eau et du temps dans la falaise, il offre, comme l’autre, un passage sous la roche. Herzog filme longuement ces deux types de tunnels naturels, creusés dans le calcaire. L’un souterrain, l’autre superficiel, ils conduisent à une traversée temporelle et spatiale. En prenant ce chemin, le spectateur éprouve deux concepts qui, selon l’archéologue Jean Clottes, interviewé par Herzog, seraient centraux dans la pensée de nos ancêtres : fluidité et perméabilité. D’une part, ils nous incitent à imaginer la fluidité entre les espèces. Pour l’homme qui vivait au milieu de la nature et ne distinguait pratiquement pas ses éléments constitutifs, les notions d’homme, femme, ours, pierre et arbre étaient fréquemment interchangeables. D’autre part, le film nous invite à penser à la perméabilité des espaces. Du point de vue des auteurs des sublimes peintures que le film nous montre, la roche n’arriverait pas à séparer l’homme des esprits résidant de l’autre côté de la grotte. A l’aide des deux idées, chaque spectateur peut bâtir son propre sentier pour se forger une explication sur cette image où femme et bête fusionnent.

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