La fo­rêt ver­ti­cale qui cache les arbres (5000 en l’oc­cur­rence)

Date de publication
13-02-2024

S’il y a un bâtiment qui marque l’entrée de la «durabilité » dans la financiarisation des villes, c’est bien le Bosco verticale, la « forêt verticale » conçue vers 2010 à Milan par Stefano Boeri architetti. Les deux tours de Porta Volta ont reçu la caution du fameux label américain LEED (Gold). Leur concept est basé sur l’idée que les essences accrochées à la structure devraient favoriser la biodiversité et convertir annuellement 20 tonnes de CO2 en O2. Or aucune étude scientifique indépendante n’a pu le démontrer, chiffres à l’appui. En revanche, on peut démontrer que le prix des appartements a, lui, quadruplé.

L’image de l’arbre filtrant l’air vicié des villes est tellement séduisante que l’on retrouve encore aujourd’hui ces deux gros brocolis sur tous les sites dédiés à la finance durable. «Oui, on peut continuer, il suffit juste de mettre des arbres», semblent dire à l’unisson les promoteurs du monde entier. Le concept a un tel succès qu’il est exporté partout: Cancún, Paris, Dubaï, Chavannes-près-Renens (VD).

Dans ce concert enthousiaste, les critiques des spécialistes sont inaudibles. Les paysagistes et les écologues ont beau expliquer qu’une forêt est un écosystème complexe, que placer des arbres à 100 m de haut ne va pas avoir d’impact réel sur la biodiversité, qu’importe: la tour, images à l’appui, est verte.

En novembre 2023, un ingénieur membre du collectif 2401, Julien Pathé, a publié sur le réseau social professionnel LinkedIn une étude qui démontre, chiffres à l’appui, qu’il faudrait en réalité des milliers d’arbres pour palier les émissions de CO2 induites par la végétalisation de la tour des Cèdres à Chavannes, en raison du surplus de béton nécessaire pour la supporter (terre et eau incluses). Le post a connu un succès fulgurant, avec des milliers de likes, de commentaires et de partages, qui donnent à voir une profession cohésive, engagée – et unanime derrière l’ingénieur. Soulagée, aussi, que le bon sens l’emporte.

Une petite majorité semble désormais se dessiner au sein de la Municipalité de Chavannes-près-Renens pour remettre en question les bienfondés écologiques du projet. Mais son action est limitée, car elle n’a pas imposé une démarche de révision contraignante. Reste le droit d’opposition, que des associations liées à la défense du climat pourraient employer lors de la mise à l’enquête, prévue en ce début d’année.

En effet, jusqu’ici la Municipalité s’est appuyée sur une charte qui spécifie que l’immeuble doit se référer «à des standards énergétiques élevés», en l’occurrence Minergie. Or le label ne tient pas compte de l’énergie grise nécessaire à la construction, mais uniquement de l’énergie consommée pendant la durée de vie de l’ouvrage. Et sur ce dernier point, elle n’est pas plus exigeante que le cadre légal actuel fixés par la norme SIA 380/1. Pour qualifier le projet d’«écologique», il faudrait demander au moins Minergie-P et poser un minimum d’exigences pour limiter l’énergie grise de construction. Mais dans ce cas, il y a fort à parier que le projet ne passerait pas la rampe: en plus des quantités de béton nécessaire, d’un point de vue thermique le facteur forme condamne également la tour élancée, avec ses décrochements, ses volumes en saillie et ses liaisons structurelles qui multiplient les ponts froids.

Ce qui était vrai dans l’Antiquité l’est encore après l’Accord de Paris: la seule manière de «construire écologique» (ou simplement bien construire), est encore de le faire de manière économique, rationnelle, en minimisant l’emploi de la matière.

Une erreur s'est glissée dans une précédente version de cet article, paru dans TRACÉS 3539, le 9 février 2024. La phrase suivante a été rectifiée: "Une petite majorité semble désormais se dessiner au sein du Conseil communal (et non au sein de la Municipalité) de Chavannes-près-Renens pour remettre en question les bien-fondés écologiques du projet". Cette distinction a toute son importance, car les membres de la Municipalité n'ont pris aucune décision concernant l'octroi ou le refus du permis de construire de ce projet. L'affirmation selon laquelle l'un ou plusieurs d'entre eux se seraient publiquement exprimés à ce sujet est erronée. Il est à noter que la Municipalité rendra une décision au sujet de la délivrance du permis de construire en conformité avec le processus prévu par la LATC et prendra en compte les exigences prévues par les lois et les règlements applicables, qu'il s'agisse des exigences procédurales ou de celles liées au droit de l'environnement. Cet article a été modifié en conséquence. Nous présentons nos excuses aux membres de la Municipalité de Chavannes-près-Renens et à notre lectorat pour ce désagrément.

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