«La fa­çade con­tem­po­raine op­ti­male est un com­pro­mis»

La façade devient un élément de construction multifonctionnel ultra complexe. Quels sont les ingrédients d’une bonne solution? Nous nous sommes entretenus avec Andreas Luible sur les innovations en cours dans la recherche et la pratique.

Date de publication
18-07-2022

espazium: Quelles sont aujourd’hui les exigences fonctionnelles imposées aux façades?

Andreas Luible: Elles sont toujours plus nombreuses. Ces dernières décennies, de nouveaux aspects se sont ajoutés aux exigences traditionnelles – par exemple la production d’énergie et l’efficience énergétique, la protection thermique en été ou l’apport de lumière naturelle. La protection incendie et l’isolation acoustique ont aussi bénéficié d’une attention accrue, tout comme la durabilité des matériaux. La consigne est de privilégier les matériaux issus de modes de production économes en énergie et en CO2, efficaces en termes de quantités mises en œuvre et capables de s’harmoniser avec les composants associés en termes de durée de vie, de durabilité et de déconstructibilité, sans oublier leur recyclabilité. On n’accordait jadis trop peu d’importance à la déconstructibilité. On ne peut plus accepter que les matériaux de façade soient voués à finir en déchets spéciaux.

Cela vaut pour la façade elle-même, mais il ne faut pas non plus négliger son impact sur son environnement.

Oui, et cet impact n’est pas seulement esthétique ou urbanistique, il concerne aussi le climat urbain. L’espace urbain avec une forte proportion de surfaces minérales et de vastes façades réfléchissantes est propice aux îlots de chaleur. Il est possible d’atténuer ces derniers, par exemple grâce à des solutions d’ombrage ou de refroidissement par évaporation au moyen de façades végétalisées.

La façade regroupe de nombreuses exigences parfois antagonistes. Comment les concilier?

Les conflits d’objectifs les plus fréquents concernent les besoins de protection thermique en été et de lumière naturelle, ou encore le souhait d’une façade classique génératrice d’énergie. Or il n’existe pas de recette standard. C’est tout l’art de la planification que d’appréhender ces exigences, de les mettre en balance et de trouver le bon compromis. La façade contemporaine optimale est un compromis.

Cela commence par la prise en compte du site. Aujourd’hui, on se focalise trop sur l’esthétique au détriment d’autres facteurs comme la localisation, l’assise, la géo-métrie et l’orientation du bâtiment ou les exigences énergétiques. Une façade orientée sud ne devrait pas être la même qu’une façade orientée nord. Pourtant, beaucoup d’immeubles de bureaux disposent de vues identiques, ce qui n’a guère de sens du point de vue énergétique. Je pense que de nombreux maîtres d’ouvrage sont foncièrement ouverts à des modifications. Les simulations d’apport d’énergie et de lumière naturelle donnent de bons résultats.

La multitude d’exigences appelle une multitude de spécialistes. Qui doit coordonner ces derniers? Quelle est la place de la collaboration interdisciplinaire?

La collaboration interdisciplinaire est très importante. Une seule discipline ne saurait répondre à toutes les exigences, d’où la multiplicité des interfaces. On a besoin d’ingénieurs spécialistes en façades qui aient des connaissances dans la construction, la conception, les matériaux et la physique du bâtiment, et de l’expérience dans le domaine de l’énergie. À la HSLU, nous proposons dans le cursus d’ingénierie civile la filière «Enveloppe des bâtiments» qui transmet de telles compétences. Au terme de leur formation, les professionnels parlent le même langage que les autres ingénieurs spécialisés – par exemple les techniciens du bâtiment, les ingénieurs structure ou les concepteurs. Pour moi, le gros de la coordination incombe aux architectes – appuyés en cela par les spécialistes des façades qui font également office de conseillers techniques.

Quels matériaux et technologies existants ou en cours d’innovation sont aptes à répondre à l’ensemble de ces exigences?

La recherche touche plusieurs domaines. La technologie du verre est très avancée et a déjà donné lieu à de nombreuses applications pratiques, comme le triple vitrage isolant, les revêtements de verre hautement sélectifs ou les verres commutables. La recherche se poursuit dans ce domaine; de telles technologies peuvent par exemple remplacer les systèmes d’ombrage mécaniques.

La recherche se consacre aussi aux systèmes d’isolation, notamment aux matériaux naturels hautement isolants destinés à remplacer les matières plastiques et autres matériaux gourmands en matières premières ou difficilement recyclables. La domotique offre sans cesse de nouvelles possibilités: systèmes d’ombrage adaptés au concept énergétique du bâtiment et les installations du bâtiment ou, plus généralement, enveloppes de bâtiment adaptatives capables de s’adapter aux conditions ambiantes et aux besoins des utilisateurs.

La numérisation ouvre elle aussi tout un champ d’opportunités, avec la simulation d’éléments de construction et de bâtiments pour les solutions thermiques ou d’éclairage ou pour les procédés de fabrication additive.

Peut-on citer d’autres secteurs ou d’autres branches scientifiques qui impulsent des innovations intéressantes?

La construction mécanique ou le secteur automobile sont de grandes sources d’inspiration, pour les façades métalliques, les détails de jointure ou les solutions d’étanchéité. Derrière les détails de la façade se cachent davantage de génie mécanique que de génie civil. Ces secteurs sont très en avance sur nous et nous pouvons en tirer profit.

La biologie livre des impulsions majeures pour les enveloppes de bâtiment adaptatives: dans la nature, chaque animal, chaque plante s’adapte à son environnement. Les bâtiments pourraient avoir cette même aptitude. La bionique s’efforce d’analyser la possibilité de transposer de telles capacités à un système artificiel. Lorsque l’on tente de transposer à une façade entière des effets opérant à une échelle minuscule, on se heurte à des problèmes d’échelle d’une extrême complexité.

La priorité devrait être donnée à des systèmes simples. Nous ne souhaitons pas développer des systèmes de haute technologie coûteux en termes d’exploitation et d’entretien. Nous aspirons plutôt à des systèmes durables et exigeant peu d’entretien.

À quel rythme le secteur du bâtiment adopte-t-il les nouvelles tendances et les met-il en œuvre?

Le secteur du bâtiment réagit de manière prudente, pour ne pas dire indolente, face aux nouvelles tendances. D’une part, un bâtiment est toujours d’une manière ou d’une autre un prototype. D’autre part, les projets de construction comportent des risques élevés. Les bâtiments doivent pouvoir fonctionner pendant plusieurs décennies. Or, ni le fabricant ni le maître d’ouvrage ne sont généralement en mesure d’assumer les risques liés à l’innovation. Les réglementations sont un frein, quand bien même les normes suisses sont plutôt favorables à l’innovation. Enfin, l’industrie du bâtiment ne dispose pas des moyens financiers qu’il conviendrait d’investir dans la recherche et le développement.

Malgré cela, le secteur n’est jamais à court de solutions formidables, mais celles-ci ont du mal à pénétrer le marché. Prenons l’exemple des verres électrochromes. Cette technologie change littéralement la donne à maints égards, notamment parce qu’elle modifie complètement l’aspect des façades en ce sens qu’elle permet de se passer des systèmes d’ombrage réguliers. Avant d’adopter une telle innovation, concepteurs et maîtres d’ouvrage doivent être convaincus du concept. L’innovation ne se joue souvent qu’au niveau du projet: on essaie de s’améliorer quelque peu d’un projet à l’autre, d’être un peu innovant, mais cela ne suffit pas à changer les mentalités du tout au tout. Autre obstacle structurel fondamental: les fabricants de façades sont impliqués trop tardivement dans les projets.

Comment la numérisation influence-t-elle la conception et la réalisation des façades?

La conception des façades, en particulier celles métalliques, est traditionnellement liée à la mécanique technique et a donc quelques années d’avance sur le secteur du bâtiment sur le front de la numérisation. Là aussi, l’influence du secteur automobile est patente, celui-ci ayant très tôt recouru aux outils numériques (plateformes 3D, logiciels de conception, etc.) pour ses essais de collision. Les outils numériques actuels ouvrent le champ des possibles, de la planification aux variantes de fabrication quasi illimitées. Le passage à un mode de construction industrialisé avec préfabrication et éléments de construction paramétrés n’est qu’une simple formalité. Chaque élément de façade pourrait par exemple être conçu et fabriqué individuellement, et pourtant une telle façade ne serait ni plus complexe ni plus chère.

Cet article a été publié dans le numéro spécial  «Fassaden | Façades | Facciate – Constructions contemporaines en Suisse».

Des façades récompensées

 

PRIXFORIX
Tous les trois ans, le PRIXFORIX met à l’honneur les plus belles réalisations innovantes de façades verre-métal de Suisse et rend hommage aux spécialistes de l’architecture, de la planification de façades, de l’ingénierie et de la construction de façades. En 2021, la 5e édition a mis l’accent sur la qualité, la durabilité et la beauté de l’enveloppe du bâtiment. Le jury professionnel a distingué trois constructions remarquables, en plus du prix du public; la remise des prix aura lieu lors d’une soirée de gala réunissant quelque 600 invités de toute la branche. Les projets pour le prochain concours peuvent être inscrits a partir de février 2023 et la PRIXFORIX Award-Night se tiendra à l’automne 2024.

 

Prix suisse «Putz + Farbe»
Le prix suisse «Putz + Farbe» récompense les constructions et les projets qui témoignent d’une mise en œuvre remarquable du crépi et de la peinture et d’une harmonie entre architecture et matériaux; y sont récompensées des équipes interdisciplinaires de planificateurs et d’artisans. Dans deux catégories distinctes, le jury d’experts distingue des constructions et des concepts d’espace présentant des utilisations différenciées et durables du crépi et de la peinture; le prix du public est décerné à l’issue d’une votation en ligne. L’appel d’offres du prochain Award est ouvert (remise des dossiers avant le 20 octobre 2022). Le prix sera décerné le 9 février 2023 lors du symposium d’architecture du salon appli-tech.

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