Jimmy P.

Dernière image

Le Silo se penche ici sur le tout dernier long métrage d'Arnaud Desplechin. Le film, une adaptation de l'ouvrage "Psychothérapie d’un indien des plaines" de Georges Devereux, met en scène deux personnages "déplacés".

Date de publication
01-10-2013
Revision
12-10-2015

Le dernier film d’Arnaud Desplechin est une adaptation d’un ouvrage de Georges Devereux, père de l’ethnopsychanalyse, intitulé Psychothérapie d’un indien des plaines. Le livre, publié aux Etats-Unis en 1951, fait le récit d’une cure analytique entreprise par un indien issu de la tribu Blackfoot dans l’hôpital militaire de Topeka, au Winter Veteran Hospital (Kansas). Caporal durant la seconde guerre mondiale, Jimmy Picard souffre de vertiges, de cécité temporaire et est diagnostiqué schizophrène lorsqu’il rencontre Georges Devereux qui va conduire son analyse en se fondant sur une connaissance intime de la culture amérindienne. Devereux est né dans ce qu’on appelle encore l’empire austro-hongrois en 1908, il étudie l’ethnologie à Paris dans les années 1930, où il fréquente les milieux artistiques. Lorsqu’il entreprend de suivre Jimmy P., il est lui-même en exil, loin de l’Europe : le film de Desplechin met en scène la rencontre entre deux personnages clairement « déplacés ». Devereux est alors en rupture avec l’orthodoxie freudienne, il est isolé de l’équipe de l’hôpital qui ne lui confie qu’un seul patient, il parle anglais avec un accent hongrois, aime les femmes, il a quitté son nom et ses origines juives en s’inventant une autre identité : c’est un renégat. Jimmy P. est tout autant déclassé : il consomme trop d’alcool, trimballe son indianité comme quelque chose d’encombrant, vit aux crochets de sa sœur.
Quel espace commun peuvent-ils inventer ? Le film de Desplechin ne cesse de commenter, visuellement et loin de tous les clichés, ce qu’est un dispositif – si l’on entend par dispositif la définition qu’en donne le philosophe Giorgio Agamben : « J’appelle dispositif tout ce qui a, d’une manière ou d’une autre, la capacité de capturer, d’orienter, de déterminer, d’intercepter, de modeler, de contrôler et d’assurer les gestes, les conduites, les opinions et les discours des êtres vivants ». Dans Jimmy P., de nombreux dispositifs s’enchâssent les uns aux autres : celui de la réserve indienne d’abord (où Jimmy a grandi), celui de l’hôpital militaire, celui de la cure analytique, celui du cinéma enfin. Autant d’espaces contraignants, potentiellement répressifs, que la parole et l’image traversent, conduites par une note singulière : le cinéma de Desplechin n’a jamais autant parié sur le recouvrement comme force motrice. C’est avec une forme d’apaisement enveloppant que sa caméra décrit ces espaces dont elle choisit systématiquement d’extraire la part lumineuse. L’hypothèse de Desplechin semble être celle-ci : ces dispositifs sont peut-être autoritaires, parfois douloureux. Mais lorsqu’ils se révèlent à nous dans toute leur complexité, lorsque nous sommes capables de les regarder, ils nous rendent aussi plus forts, plus intelligents. Ils nous mettent au travail : à nous de les décrire, de les décrypter. D’où l’habileté, la précision de l’image dans Jimmy P. qui porte les traces de cette compréhension en mouvement et balaie l’idée même d’échec ou d’impasse. Jimmy P. est un western, tourné entre le Michigan et le Montana, questionnant le sort des minorités, mais il déjoue les structures primitives du genre, les binarités, pour produire un dispositif non hostile.

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