J'en­tre­rai dans ta mai­son avec le res­pect qui t'est dû

La chronique critique de Pierre Frey

Date de publication
15-03-2017
Revision
18-03-2017

C’est la recommandation que de pieux Bernois avaient fait graver au linteau du portail de la cathédrale de Lausanne, qu’ils nommaient du reste le grand Temple. C’était en 1774. C’est en 2017 que l’Eglise évangélique réformée du Canton de Vaud a choisi de célébrer les 500 ans de la Réforme. La date se rapporte au 31 octobre 1517 qui vit le moine augustin Luther placarder à Wittenberg ses 95 thèses. Il s’agit d’un choix strictement théologique, finalement assez éloigné de la Réforme en Suisse qui s’est articulée bien davantage sur l’acte du révolutionnaire zurichois Ulrich Zwingli, particulièrement de son prône du Nouvel-An 1519 et de son action résolue contre les capitulations militaires consenties par les Confédérés en faveur de la France comme du Saint-Siège en 1521 et 1523. En 1523, les biens et les bénéfices du Fraumünster de Zurich sont sécularisés, une ébauche d’instruction publique est mise en place. Les conditions d’un capitalisme moderne sont établies.

A l’église cathédrale de Lausanne en 1517, on travaille à l’édification du très catholique portail voulu par l’évêque Aymon de Montfalcon qui, bien qu’homme de culture, fut assez mal inspiré de superposer au dispositif d’entrée du 13e siècle son lourd bouchon ornemental gothique flamboyant. En 1532, on y travaille encore et le chantier dure toujours lorsqu’en octobre 1536, à l’instigation principale des Bernois et dans des conditions qui paraissent surprenantes aux observateurs modernes, le culte réformé est imposé aux Vaudois. La question de savoir si le très catholique portail fut consacré n’est pas évoquée dans les sources consultées, il est probable que non. Le 19e siècle ne se soucie guère de cette question. Dans la foulée des restaurations lancées par Eugène Viollet-le-Duc qui tendaient à lui procurer une unité de style gothique francilien, ses continuateurs entreprennent de parachever cette systématisation de la cathédrale dans le style pittoresque du pays voulu par l’architecte cantonal Eugène Bron. Dans la foulée, ils démolissent, contre le gré des archéologues, le portail Montfalcon et puis, encore contre le gré de ceux-ci, satisfaits de l’effet produit par la révélation du dispositif primitif du 13e, le firent reconstruire par un talent local promu génie universel et suivant quelques caprices iconographiques. C’est ainsi qu’un pastiche néo-gothique du médiocre bouchon flamboyant du 16e siècle était inauguré en 1909. Il a été l’objet, entre 2015 et 2016, d’un toilettage accompagné de diverses interventions mineures dont on ne doute pas un instant qu’il a suffi à nettoyer un budget de l’ordre du demi-million de francs ! Après qu’une instance anonyme ayant pouvoir d’inspirer le « bureau d’information et de communication de l’Etat de Vaud » l’a jugé « virtuose » et « œuvre longtemps peu considérée »1, il est l’objet, en octobre 2016, d’une singulière et pittoresque cérémonie. Après qu’on a dévoilé ce que depuis tant de temps on avait vu et revu, un magistrat soucieux de réclame et éventuellement d’œcuménisme prend une nouvelle fois les augures de ce programme très romain pour célébrer ce qu’il pense être un anniversaire de la Réforme.

Il est vrai que la Réforme, et surtout les campagnes de restauration du 19e siècle ont contribué, sinon à séculariser la cathédrale de Lausanne, à en faire une sorte de monument national. Elle abrite le serment des autorités au moment de leur installation, les obsèques des vrais serviteurs de la Patrie et aussi de quelques fausses gloires. On y organise force concerts, pas toujours en cohérence avec le lieu et en dépit d’une acoustique totalement inadaptée ; toutes et tous sont invités à se recueillir dans ses murs édifiés, littéralement, ad majorem dei gloriam. Mais on observe en même temps une dérive très sensible et, pour tout dire, choquante. L’un s’invente une opportune inauguration, un autre lui inflige un « plan lumière » digne d’un casino, pas vraiment gêné d’y faire briller de véritables lanternes rouges dont la connotation peut prêter à confusion, cependant qu’un troisième l’occupe carrément et y fait commerce au prix fort de jeux de lumière, mis en œuvre par des volontaires sollicités dans des conditions que la SUVA ne tolèrerait sur aucun chantier. Les marchands de toutes sortes sont établis dans le Temple, je m’en émeus d’autant plus profondément que ma mère m’avait longtemps rêvé pasteur de la Cathédrale…

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