Is­rael Les­sons. In­dus­trial Ar­ca­dia

Le Laboratoire Bâle (laba) de l'EPFL se penche sur Israël

Date de publication
19-04-2018
Revision
24-04-2018

En entrant dans sa septième année, laba, le studio d’architecture et de design de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) du Pr Harry Gugger installé à Bâle, choisit d’affronter ce qui s’annonce d’office comme le plus délicat des sujets de territoire à analyser: Israël. Comment porter un regard critique et non biaisé sur la contrée la plus médiatisée dans l’histoire de l’Occident? Comment lire ce pays, dans son organisation matérielle et ses mythes structurants, sans prendre parti, contre l’occupation et le quasi régime d’apartheid (c’est-à-dire littéralement de développement séparé) qui régit la vie de 13 millions de Palestiniens et d’Israéliens? Comment porter un regard frais sur une situation indémêlable depuis bientôt un siècle? 

La première chose à constater est que l’équipe de Gugger y parvient admirablement. Sans préjugés, l’ouvrage porte un regard critique mais non réprobateur. Il nomme les choses pour ce qu’elles sont sans glisser dans une posture partisane qui mettrait en péril la poursuite du travail de terrain, le gouvernement actuel en Israël n’hésitant pas à interdire l’accès au territoire à tous ceux, intellectuels et hommes politiques, qu’il juge opposés à sa politique. Autant dire que l’équipe du laba marchait sur des œufs. Il fallait tout à la fois être à la hauteur du travail incisif réalisé jusqu’à présent, sans offenser ceux sur qui elle portait son regard.

Ruralité mythologique


L’ouvrage prend soin de déconstruire pour mieux comprendre le rapport de la société israélienne à une ruralité tout à la fois travaillée par un imaginaire biblique et un pragmatisme agricole productiviste. En Israël, le récit d’une terre promise a été matérialisé par des moyens techniques de pointe. L’étude démontre surtout à quel point les politiques agricoles du jeune Etat ont toujours secondé le projet de foyer national homogène. 

L’étude prend soin de détailler des chapitres complexes de l’organisation territoriale du pays, comme l’épineuse question de l’eau, ou encore les restrictions au nomadisme dans le Negev.

Bien au-delà de l’aspect polémique du partage des terres entre Palestiniens et Israéliens, l’étude approfondit la question de l’usage des ressources et révèle à quel point le problème israélien n’est qu’une forme aggravée des problèmes courants que l’on rencontre dans d’autres régions du bassin méditerranéen : en Israël/Palestine, l’agriculture intensive draine et assèche les nappes phréatiques, comme elle le fait aussi en Turquie ou en Espagne. La situation aggravante – celle d’une occupation d’un peuple par un autre – ne doit pas empêcher de comprendre les enjeux qui sont ceux d’une société industrialisée confrontée au problème de ressources naturelles utilisées de façon non durable. 

La question du nomadisme relève de la même approche. Certes, Israël lutte contre un peuple autochtone (Bédouins) en l’empêchant de se déployer librement sur les territoires qu’il parcourait depuis des millénaires, mais cela s’est produit de la même manière en Grèce où des populations pastorales (Sarakatsani) perpétuant des cycles de transhumance millénaires ont été sédentarisées dans les années 1960. Là aussi, Israël n’est que la version aggravée des choix fondamentaux des sociétés modernes face aux organisations informelles et vernaculaires. 

Destins imbriqués


L’ouvrage permet de comprendre à quel point le destin des deux peuples, israélien et palestinien, est structurellement imbriqué et combien il serait logique d’envisager un avenir politique commun. Cela non dans un utopisme béat, mais prenant acte de l’interdépendance poussée qui prévaut aujourd’hui sur un plan économique et écologique. A l’instar de son espace aérien, qui ne peut pas fonctionner sans une gestion unitaire du ciel israélien et palestinien, le territoire n’est séparé qu’à force d’efforts démesurés, à la limite de l’absurde, comme la construction du mur, l’existence d’un double système routier ségrégationniste, et un effort persistant pour cliver au lieu d’unir. Il suffirait d’un peu de pragmatisme pour se rendre compte que le seul avenir de ce territoire est commun. L’ouvrage présente Israël comme un pays à la pointe de l’innovation et de la modernité. La seule chose qui échappe à ce rationalisme bien ancré dans la culture israélienne est le refus d’envisager un avenir avec les Palestiniens. La leçon implicite du laba serait donc de transposer sur un plan politique le rationalisme qui prévaut sur un plan économique. Ici, comme dans bien d’autres endroits, l’idéologie semble opérer contre la raison. 

On saluera finalement la finesse avec laquelle les auteurs parviennent dans le même paragraphe à défendre tout à la fois le projet sioniste d’un foyer national israélien, la solution à deux Etats vivant côte à côte, et la condamnation de l’occupation, allant jusqu’à affirmer, noir sur blanc, ne pas s’opposer au mouvement DBS (boycott, désinvestissement, sanctions). Qu’un travail, fait en partie avec des Israéliens, puisse légitimer une forme modérée et non discriminatoire de boycott, est une belle démonstration de ce qu’il est possible d’atteindre quand la critique est ouverte, sincère et constructive. 

 

Références

 

ISRAEL LESSONS. Industrial Arcadia.
Teaching and Research in Architecture
Harry Gugger et al., en collaboration avec le Laboratoire Bâle (laba), EPFL, Park Books, Zurich, 2018 / Fr. 49.–

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