Hom­mage à Georges Pe­rec

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Le cinéaste Robert Bober consacre un film à la rue Vilin, petite artère insalubre du quartier parisien de Ménilmontant rasée dans les années 1980 où vécut Georges Perec dans son enfance

Date de publication
26-02-2015
Revision
25-10-2015

On pourrait commencer comme cela : « Comment décrire ? Comment regarder ? Comment reconnaître ce lieu ? Restituer ce qu’il fut ? Comment lire ces traces ? Comment saisir ce qui n’est pas montré, ce qui n’a pas été photographié, archivé, restauré, mis en scène ? Comment retrouver ce qui se passait tous les jours ? » C’est avec ces mots – empruntés à un autre film (Récits d’Ellis Island, réalisation Robert Bober, commentaire Georges Perec, 1979) – que débute le travail que Robert Bober consacre à une petite et insalubre rue du quartier de Ménilmontant à Paris, rasée dans les années 1980. C’est avec ces mots – écrits par Georges Perec –, que Bober entame l’exploration photo-­cinématographique d’une rue où Perec vécut enfant : la rue où habitèrent aussi les grands-parents de l’écrivain, la rue où sa mère, déportée à Auschwitz en 1942, a tenu un salon de coiffure. A l’aide de plusieurs centaines de photographies prises au cours de décennies, Bober rend hommage avec ce film à son ami Perec, mort dix ans auparavant. 

Mais on pourrait aussi commencer comme cela : ouverte en 1863, la rue Vilin reliait la rue des Couronnes aux hauteurs de la rue Piat. Son parcours remontait en pente douce selon la forme d’un S inversé, jusqu’à un escalier d’une cinquantaine de marches au sommet desquelles s’étalait l’un des plus beaux panoramas de la capitale française. Des photographes célèbres l’arpentèrent (Robert Doisneau, Willy Ronis), des films y furent tournés (Casque d’or, Le Ballon rouge, Jules et Jim, Un homme qui dort…) et d’autres photographes y retournèrent pour documenter son abandon. Classée îlot insalubre en 1963, elle laissera sa place au parc de Belleville, au nom de la politique de rénovation urbaine.

Mais on pourrait encore commencer comme cela : « J’aimerais qu’il existe des lieux stables, immobiles, intangibles, intouchés et presque intouchables, immuables, enracinés ; des lieux qui seraient des références, des points de départ, des sources (...). Mes espaces sont fragiles : le temps va les user, va les détruire : rien ne ressemblera plus à ce qui était, mes souvenirs me trahiront, l’oubli s’infiltrera dans ma mémoire, je regarderai sans les reconnaître quelques photos jaunies aux bords tout cassés. » C’est-à-dire commencer à nouveau avec les mots de Perec dans Espèces d’espaces (1974). La rue Vilin – que Perec visite une fois par an entre 1969 et 1975 dans le cadre d’un vaste projet autobiographique provisoirement intitulé Lieux – est un endroit sensible, que Robert Bober reconstitue patiemment, « comme dans un puzzle », à l’aide de photographies qu’il n’a pas prises et qui proviennent, en partie, des archives Perec. Des clichés immobiles que Bober met en mouvement par le biais de ses travellings sur les images superposés, créant un itinéraire qui défile à l’écran, au gré des méditations de Perec. Entre fixité et mobilité, la reconstruction imparfaite et hétérogène de Bober rend à la fois hommage à la méthode de l’écrivain et incarne la mémoire sensible d’un lieu.

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