His­toires de Shan­ghai

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La nouvelle Chine émergeant des débris de l'ancienne

Date de publication
27-11-2014
Revision
25-10-2015

Lorsqu’il réalise I wish I Knew (2010), Jia Zhang-ke a déjà filmé à plusieurs reprises la nouvelle Chine émergeant des débris de l’ancienne. Cette thématique se retrouve dans bon nombre de ses films : The World, Still Life et 24 City. Avec I wish I Knew, sa quête se poursuit dans une ville en chantier : Shanghai se préparait alors pour l’exposition universelle de 2010. Le film, commande du gouvernement, fut projeté dans l’un des sites de l’exposition. Il s’agit là d’une reconnaissance officielle inédite dans le parcours de Jia, dont la plupart des films n’ont que très rarement l’occasion d’être montrés en Chine. 
Les plans sont stables, la lumière est absolument maîtrisée et l’image semble plus lisse que d’habitude. La chorégraphie des ouvriers transportant des sacs de ciment sur le dos est d’une telle perfection qu’elle semble orchestrée pour les besoins du film. Il se trouve que cette configuration harmonieuse traduit très bien les ambitions de la nouvelle Shanghai, symbole de la Chine de l’avenir. La ville vit un mouvement d’homogénéisation de son paysage, de rejet de ses espaces hétéroclites et de ses archaïsmes. 
A mi-chemin entre le documentaire et la fiction, I wish I Knew se compose d’entretiens avec dix-sept personnes ayant vécu ou travaillé à Shanghai. Leurs récits restituent des expériences douloureuses et touchent à des thèmes qui sont encore tabous aujourd’hui — l’exil, l’occupation, l’arrivée du communisme. Le film comporte en outre des extraits de films tournés à Shanghai à différents moments de son histoire. C’est par le biais des images de films comme Suzhou River, réalisé par Lou Ye en 2000, que nous nous rendons compte de ce qui a changé : le cours du fleuve, l’occupation de ses berges, les modes de vie. 
Le film démarre sur l’image d’un lion en bronze, filmé de dos, regardant les morceaux de béton qui l’entourent. Plus loin, quelques gratte-ciel s’imposent à l’horizon. On reverra ce lion plus tard, de face, accompagné de celui qui a la charge de le polir. D’emblée, la contemplation de ce paysage en mutation se fait par le biais d’un corps qui incarne le passé. Plus tard, ce sera Zhao Tao, l’actrice fétiche de Jia Zhang-ke, qui conduira cette observation du paysage architectural de Pudong et des structures en train d’être érigées pour l’exposition universelle. Habillée de vêtements blancs, presque transparents, Zhao Tao a une consistance spectrale qui condense la mémoire de plusieurs générations de shanghaiens. Sa déambulation sous la pluie évoque Mei-Mei/Moudan, la protagoniste du film de Lou Ye qui, habillée pareillement, se noie dans le fleuve. L’effort de construire l’image d’une ville ultra-moderne est manifeste, mais la matière dans laquelle Jia Zhang-ke puise pour le faire dévoile des éléments d’un passé souvent caché et des contradictions d’un présent qui ne cesse de se remettre en question.

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